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Rencontres : Philip Pullman & Miss Jones
Quels sont les profs de vos années d’étude qui vous ont inspiré ?

Pour l'auteur Philip Pullman, il s’agit d’un professeur d'anglais de son ancienne prof de cycle secondaire, Miss Enid Jones. Et dans quelques instants, on verra ce qui s'est passé quand il est retourné au Pays de Galles pour la rencontrer. [...] C’est l’heure pour une réunion.

Terry Jones : Bonjour, je suis Terry Jones. Pour la prochaine demi-heure sur la radio BBC4 je vous invite à me rejoindre pour écouter aux portes, ce qui est précisément ce à quoi la radio est destinée.

*musique*

Nous allons écouter une conversation assez particulière. Elle réunit l’un des plus grands conteurs de la planète, et la femme qui l’a inspiré pour qu’il le devienne. Quand j’ai lu pour la première fois l’étonnante trilogie de Philip Pullman, A la Croisée des Mondes, j’ai été tétanisé par son imagination et la puissance de sa narration. C’est à mes yeux l’un des plus grands travaux d’imagination de la littérature anglaise. Et comme il en vaut la peine, il sera bientôt adapté en un blockbuster au cinéma. Ce que nous avons est une vraie chance de pénétrer à l’intérieur de la tête de l’écrivain et retrouver l’impossible : ses sources d’inspiration.

C’est ici à Harlech à la fin des années cinquante, qu’il va rencontrer quelqu’un qui aura un profond impact sur sa vie créative, une prof du collège local, Miss Enid Jones. Et aujourd’hui, en cette fraîche matinée dans le village d’Harlech, enveloppé de mystères aux accents maritimes, Philip est revenu pour rendre visite à la source de son inspiration. Suivez moi, alors que nous marchons à l’ombre du château d’Harlech, haut perché sur une colline et entouré de grands murs gris et aux rues de cobalt pour rejoindre l’endroit où Philip Pullman a passé ses années d’adolescence, et où sa découverte du Pays de Galles a commencé par une rixe.

 

Philip Pullman : Mon tout premier jour à Ysgol Arudwy [l’établissement où a étudié Pullman, NdT], j’arrivais de Londres, et quelqu’un a du m’entendre parler, ou m’a demandé d’où je venais. J’ai dit Londres et bam, je me suis retrouvé pris dans une bagarre.

 

Enid Jones : Oh oui, tu t’étais battu !

 

Philip Pullman : Tout le monde voulait se battre, et après je suis devenu de bons amis avec tous ceux qui m’avaient battu. J’ai appris que si je voulais éviter des bagarres dans la cour, il fallait que j’imite l’accent gallois. Mais j’étais dans cette école du Nord du Pays de Galles, avec des enfants qui parlent gallois, et j’aime lire des livres, j’aime faire des exercices de grammaire, ça a toujours été ma matière préférée mais je ne l'ai pas enseigné à mes classes durant les premières années. Et quand on est passé au collège, ce qui s'appelait avant septième, huitième et neuvième années, ça a changé maintenant, on avait de l’anglais avancé et Miss Jones devant prendre en charge la classe.

 

Enid Jones : Je peux te revoir, dans le coin de la pièce, même si, bon, il n’y avait pas vraiment de fond.

 

Philip Pullman : Oui, c’était une petite pièce, au dernier étage de l’école. On avait une vu sur la Morova et les montagnes derrière. C’était une heureuse petite pièce. Toutes les expériences que j’y ai eues étaient bonnes. A chaque fois que l'on était ensemble, vous faisiez beaucoup de discussions, vous aimiez les discussions.

 

Enid Jones : Oui, j’en discuter plutôt que de donner des notes, donc ça faisait beaucoup de discussion à écouter…


 Philip Pullman : J’écoutais, c’était adorable.

 

Enid Jones : Et il y avait une fille je me souviens elle m’a dit « Vous aviez ces discussions et vous nous meniez ; et nous, nous pensions que ces idées étaient les nôtres ! »

 

Philip Pullman : Oui, c'était une meilleure méthode pour enseigner, parce que ça remonte à Platon et Socrate, et c'est la chose sur quoi a porté l'enseignement. Nous étions certainement des gens pour qui leurs idées comptaient vraiment. Les idées étaient comme les gens pour nous, vous tombez amoureux d'une idée, vous êtes en colère contre une idée, vous flirtez avec une idée, et vous savez, on discutait et parlait de plein choses il y a près de cinquante ans maintenant, quand on s'est rencontré pour la première fois.

 

Enid Jones : Nous étions un peu comme une famille, on se connaissait tous. Nous nous intéressions à ce que faisaient les uns et les autres. Si ils allaient aux rencontres de sport régionales ou nationales, on les suivait dans le bus.

 

 

Philip Pullman : Oui, la fin des années cinquante et le milieu des années soixante étaient une très bonne époque, car nos profs avaient connus la guerre, ils avaient connu l'armée et les privations en revenant. C'étaient des hommes et des femmes de grande substance, avec une vraie force de caractère, mais ils étaient toujours assez vigoureux pour avoir à faire avec nous. Et aussi, et c'est le plus important de l'après-guerre, l’Etat-providence, l'éducation nationale était importante, c'était la fonction principale de ce pourquoi la société était faite et nous devions bien nous y tenir. Mais en ce qui concerne les cours d'anglais, on avait ces manuels, English Today...

 

Enid Jones : Oui, English today, en effet...

 

Philip Pullman : Il y avait des extraits de quelque livre, et puis des questions, des points de grammaire à développer, mais ce dont je me souviens, ce n'était pas seulement les exercices de grammaire, mais la partie nommée Relate, car pour moi ce n'était pas dur. Certains enfants sont bons en maths, ils voient la solution d'une équation très rapidement, moi je faisais ça avec les mots. Une fois j’ai expliqué ce qu’était tel type d’adjectif et tel autre type d’adverbe, j'y voyais relativement clairement, on avait ces exercices où il fallait au-delà des phrases.

 

Enid Jones : Oui, c’est vrai, je me souviens t’entendre dire ce qu’était une phrase…

 

Philip Pullman : C’était une fois où on faisait quelque chose d’autres que ce à quoi on était habitué, écrire des histoires. Ce n’était pas le genre d’exercice courant, une fois toutes les…

 

Enid Jones : Une fois toutes les trois semaines.

 

Philip Pullman : Toutes les trois semaines, on avait a écrire une rédaction, un rédaction sur ce qu’on avait fait pendant les vacances ou sur un livre qu’on était en train de lire, ou quelque chose du genre, et parfois il fallait écrire une histoire et j’adorais ça. Et je lisais mes histoires à haute voix.

 

Enid Jones : Oui, tu étais le meilleur pour écrire dans la classe.

 

Philip Pullman : Vous avez été mon premier éditeur ! Vous avez publié mes histoires.

 

Enid Jones : Oui, tu étais certainement le meilleur, je peux me souvenir d’une des rédactions, la vue depuis la fenêtre de ta chambre, c’était vraiment très bon.

 

Philip Pullman : Oui, je m’en souviens très bien, car à cette époque, on vivait à Llandanwg; ce n’était pas vers cette partie de la baie que je regardais, mais un peu plus au sud de la baie, vers un lieu au sud, qu’ils l’appelaient Shell Island, et il y avait une petite base de la RAF [Royal Air Force, NdT.] où mon père travaillait. Depuis ma fenêtre, je peux tout voir, comme une clarté surréaliste, comme dans un tableau de Salvador Dali, chaque petit détail au lointain. Une clarté absolue. Et je commençais à m’intéresser aux arts visuels à cette époque. Regarder des photos, aller dans les galeries, quand j’allais à Londres, et j’essayais de me dessiner moi-même. Et je me souviens encore de me tenir là, et de mon enthousiasme à décrire la vue, de trouver des métaphores pour la décrire, la nuit le train était éclairé comme une chenille argentée… Donc... oui, je me souviens de ça.

 

Enid Jones : Je m’en souviens, c’est la meilleure rédaction que j’aie lue. J’avais donné ce sujet avant, et j’avais reçus des copies peu brillantes, et je me souviens que tu t’étais démarqué. Et tu avais la superbe note de 8/10, car je ne mettais jamais les notes maximales, j’étais assez radine. (rires)

 

Philip Pullman : Mais 8/10 c’était une très bonne note.

 

Enid Jones : La meilleure que l’on pouvait avoir.

 

Philip Pullman : C’est vrai.

 

Enid Jones : Et tu dois savoir pourquoi, j’ai été éduquée à la vieille école. Je suppose que je pensais que ça ne pouvait pas être la perfection.

 

Philip Pullman : Vous avez parfaitement raison. Une pièce d’art ne peut pas être parfait. En fait, la seule chose qui peut être parfaite et écrite est un haïku. 17 syllabes. Vous pouvez être parfait avec un haïku. Tous les sonnets, de Shakespeare, Keats ou quelqu’un du genre valent le coup, mais toutes les choses plus longues auront des défauts, des passages qui ne marchent pas très bien, il y aura toujours un mot qui… Les choses les plus petites sont celles qui peuvent atteindre la perfection. Donc je comprends parfaitement que vous ne mettiez pas les meilleures notes !

 

Enid Jones : Je croyais qu’une bonne note vous monterait à la tête.

 

Philip Pullman : J’étais un jeune homme vaniteux Mais maintenant que j’y pense, cela dois remonter à presque cinquante ans.

 

Enid Jones : Mais si je m’en souviens si facilement, c’est que ce devait être exceptionnel. Ce doit être maintenant…

 

Philip Pullman : C’est perdu, je le considère comme un souvenir maintenant.

 

*Musique*

Terry Jones : Miss Jones n’était pas timide pour partager ses propres préférences littéraires en classe.

 

Enid Jones : J’étais une grande fan de Thomas Hardy [auteur du XIXe siècle donnant pour cadre à ses romans le Dorsetshire, contrée du sud-ouest de l'Angleterre, NdT.] à l’adolescence. J’ai lu toute son oeuvre dans la bibliothèque.

 

Philip Pullman : Nous avions étudié un de ses livres en classe : Under The Greenwood Tree. [peut-être le livre le plus populaire de Hardy, NdT.]

 

Enid Jones : Oui, et nous avons fait A Passage In India.

 

Philip Pullman : C’est vrai...

 

Enid Jones : Et je me souviens que vous en saviez bien plus sur les religions orientales que moi, donc je vous ai laissé avoir votre opinion.

 

Philip Pullman : Je crois qu’on le prétendait juste, et que l’on faisait juste semblant. C'est le côté présomptueux des jeunes : vous lisez un petit livre à un sujet, et vous vous croyez experts. Je suis sûr qu’on ne l’était pas.

 

Enid Jones : Je vous laissais y réfléchir.

 

Philip Pullman : Et on a aussi étudié Victory de Joseph Conrad, rappelez-vous. Axel Heyst et Mr Jones. Et Alma, la fille qu’il sauve de l'orchestre féminin.  

 

Enid Jones : J'avais oublié ça.

 

Philip Pullman : Je ne l’aurais jamais lu si je n’avais pas été dans votre classe. Et c’est un livre merveilleux, l’un de mes livres favoris de Conrad. On a travaillé MacBeth, pour le brevet, car MacBeth est une pièce merveilleuse pour les adolescents, tout comme Roméo et Juliette, bien sûr. Parce qu’ils y trouvent des premiers amours, des meurtres, et ils les comprennent. MacBeth est si dramatique, tellement empli de richesses. C’est une pièce courte, mais si dramatique.

 

Enid Jones : Tout y est condensé.

 

*Musique*

Terry Jones : vous écoutez Philip Pullman and Miss Jones, ici sur l'antenne de BBC4, avec moi-même, Terry Jones. En même temps que les romans, le monde de la poésie allait s’ouvrir par une source des plus inattendues.

 

Philip Pullman : Il y a eu une après-midi, au cours de l’hiver de ma deuxième année, je devais avoir environ douze ans, voire treize, peu importe. Le fait est qu’il y a trois garçons qui sont venus de la classe supérieure. Et ils sont venus à pas traînants, mains au sol, tels des singes. Et ils ont commencé à dire [récite le poème]

A cold coming we had of it,

just the worst time of the year

For a journey, and such a long journey :

The ways deep and the weather sharp,

The very dead of the winter.

Et je me suis dit : Mais bon sang, qu’est-ce que c’est ? Est-ce une histoire, est-ce un poème ? Ca ne rime pas, ça ne se suit pas… Et il a continué ce merveilleux poème, cette chose fabuleuse. [récite le poème]

Later at night we came to a valley

Comment est-ce ?…

With the running stream and a water-mill

Beating in the darkness

And three trees on a low sky

[NdT : Pullman oublie ici un vers et en modifie deux autres !]

Et ce texte m’a parlé, m’a enchanté. Et ce n’est que plus tard que j’ai su qu’il s’agissait de la chronique The Journey of the Magi, de T.S. Eliot. Et c’est à ce moment que je me suis dit que la poésie pouvait être porteuse car elle avait une incidence physique sur moi. Ma peau ruisselait, mon cœur battait plus vite, et quand plus tard on a fait de la poésie, et plus spécifiquement avec ces poètes tels que John Donne et les poètes métaphysiques, c’était le même effet.

 

Enid Jones : J'avais ajouté ces poètes au programme car je crois qu’ils te plaisaient.

 

Philip Pullman : Oui, on les aimait, car c’est si étrange, c’était différent de tout le reste, c’était sexy aussi, il s’agit de l’amour. To His Coy Mistress, d’Andrew Marvell : faisons l’amour maintenant, n’attendons pas, nous serons bientôt morts, c’est ce que tout ado a envie d’entendre. Mais plus encore quand on en est arrivé en terminale, et qu’on a fait les deux premiers tomes du Paradis Perdu !

 

Enid Jones : Et maintenant, j’ai ton livre à ce sujet !

 

Philip Pullman : L’une des conséquences de ceci est qu’il y a un an ou deux, la presse de l’université d’Oxford m'a invité à écrire un avant-propos ou une introduction à la nouvelle édition du Paradis Perdu, et je m'y suis référé pour cela. L’étude du Paradis Perdu par Enid en terminale. 

 

Enid Jones : Je crois que je l’ai aimé autant que toi.

 

Philip Pullman : Ce qu’on faisait, c’était qu’on le lisait avec la classe autour…


Enid Jones : Oui, on lisait dans la foulée, car je n’aimais pas m’arrêter, reprendre et expliquer, car ça casse l’effet.

 

Philip Pullman : Mais on n’en a pas besoin, car le son des vers lui-même vous en dit bien plus que vous ne le pensez. Ce qui arrivait était tout comme The Journey of the Magi, le son des vers lui-même qui était enivrant. Donc, afin d’être capable d’étudier de grands poèmes, de grands romans, avec une prof sympathique, que vous saviez prendre autant de plaisir que vous en aviez, c’est un vrai privilège, et je regarde en arrière avec beaucoup de gratitude.

 

*musique*

 

Philip Pullman : J’avais le feeling pour ce moyen de communication qu’est le langage. Ca m’intéressait, je voulais savoir d’où il venait, son histoire, et pourquoi il s’écrivait de telle sorte. Et une partie de cela supposait une prise de conscience de choses telles que Je suis une grande raison, de créer et raisonner, des différences entre les deux concepts, quand une rime est une propre rime, ce qu’est une semi-rime, car il y en a tout le long, comme dans Chaotic Angels de Gwyneth Lewis. J’étais passionné, et en fait j’écrivais sur les poèmes, j’écrivais des chansons dessus et je les chantais. Dieu merci, je ne les ai jamais enregistrées.

 

Enid Jones : Et tu jouais...


Philip Pullman : Je jouais à la guitare les chansons telles que The Time they are changing, et When the Ship Comes In de Bob Dylan. J’étais avec mon grand copain Mervin Jones. Il se passionnait pour la politique. Je l’accompagnais pour la musique. Et un jour d'été nous sommes allés à Criccieth pour gagner des sous en jouant de la musique dans la rue. Et c’était un après-midi d’été, le bar était plein de vacanciers prenant du bon temps; on est entré et Mervin a fait un grand discours sur le Vietnam, qui était assez médiocre et qui les a rendu tous tristes. Et j’ai repris la chanson de Bob Dylan, avec mon porte harmonica fait d’un porte manteau et de ficelle, et en plein milieu de mon solo passionné, la corde a lâché et ce foutu machin pendouillait sous mes yeux, et j’ai du finir la chanson, donc on n’a pas eu une grande carrière en tant qu’agitateurs politiques ou en musiciens, mais c’était une leçon…

 

Enid Jones : Et te souviens-tu, tu as eu une drôle de petite période au début de la première année 6. Je ne sais pas si tu t’en souviens ? Tu étais une sorte de…

 

Philip Pullman : Je devais traverser une sorte de crise d’adolescence…

 

Enid Jones : Je pense que c’était cela, tu ne supportais pas d’être dérangé.

 

Philip Pullman : Je m’en souviens, je devais juste en avoir ras-le-bol, mais j’exagère, ce devait être un désespoir existentiel…

 

Enid Jones : Je me souviens d’avoir parlé avec toi…

 

Philip Pullman : Oui, je m'en souviens…

 

*musique*

Terry Jones : Mais comme toujours, il y avait toujours de nouvelles expériences à l’horizon.

 

Philip Pullman : J’ai découvert cette notion, que je voulais aller à Oxford, mais sans raison, je n’avais aucune connexion familiale avec Oxford, j’aimais juste l’idée d’aller à Oxford. Et ce que l’on faisait à cette époque était de prendre les examens spécifiques des colleges d’Oxford, et je m’y suis attelé comme à une compétition sportive, ce n’était qu’un examen de plus, j’étais assez bon aux examens, j’aimais écrire sur ce qui m’intéressais, j’ai donc bûché ces exams, je les ai passé à l’école, j’avais une pièce pour moi, et ça a continué comme ça et j’ai été invité à Oxford pour un entretien. Je n’étais encore jamais allé à Oxford et c’était une journée magnifique, le soleil brillait sur ces bâtiments de vieilles pierres, j’étais dans un college et tout était fabuleux, merveilleux. Et j’ai passé l’entretien et juste avant Noël, je me suis vu offrir une scolarisation, si bien que je flottais tout le reste de l‘année, plein de vanité, car je savais qu’il fallait juste que je me mette en conditions pour avoir le baccalauréat afin d’avoir la place, mais heureusement j’ai atteint un bien meilleur niveau.

 

Enid Jones : Oui, un sacré niveau de plus. Une scolarisation à Oxford pour un de nos élèves de cette petite ville au cœur du Meirionydd ! …

 

*Musique*

Terry Jones : Réussissant bien à l’école, et fort de ses expériences à Oxford et ailleurs, Philip est resté en contact avec Mrs Jones par le biais de cartes postales, de lettres, et de messages réguliers. En l’occurrence, au bas d’une carte de Noël, Enid pris connaissance d’un nouveau développement dans la vie de son ancien élève.

 

Enid Jones : J’ai fait un grand pas, je suis devenu enseignant, à ma grande surprise. J’ai fait des cours universitaires et maintenant je travaille dans le secondaire à Oxford. Au college ils ont tendance à être focalisés sur les enfants, un précepte que j’ai immédiatement rejeté. Je suis devenu sauvagement dévoué à l’analyse grammaticale. (Je lui enseignais cela) De toute façon, quand n’y ais-je pas été dévoué ? Je sers toujours les muses. Bonne année ! Et il avait l’âge de l’analyse grammaticale.

 

Philip Pullman : L’analyse grammaticale ! Il y a plusieurs moyens de dominer une salle de classe. Vous pouvez la terrifier, ou l’intéresser, ou la divertir. Mais il faut le faire d’une façon ou d’une autre. Il faut contrôler la classer et ne pas la laisser vous dominer. Il faut prendre l’une de ces méthodes, ou trouver celle qui correspond à votre personnalité. Certains profs sont naturellement très autoritaires, ils terrifient les gens et n'ont pas le moindre problème. Les élèves sont sages sinon ils seront réprimandés. Certaines personnes ont ce genre de… charisme, ou quoi que ce soit. Mais si vous ne l’avez pas, il faut un autre moyen. Mon moyen de garder une classe silencieuse était de raconter des histoires. J’ai raconté des tas d’histoires. Mais la plupart provenant du grand corpus des mythes, des grands mythes.

 

Enid Jones : J’ai fais ça une fois, avec une classe ; j’avais à me charger d’une classe, à mi-temps ou quelque chose de ce goût, et j’ai décidé de travailler les mythes et légendes. Et ils ont plutôt bien aimé.

 

Philip Pullman : C’est des histoires merveilleuses ! Ce sont des histoires qui on marché trois mille ans, c’est qu’elles doivent être bien, et c’est vraiment un privilège que de les raconter. Mais je racontais les grands mythes, l’Illiade et l’Odyssée, encore et encore aux classes à qui j’enseignais. Et c’était superbe pour moi car il y avait une vraie représentation dans le fait de raconter l’histoire. Un paquets de dogmes d’enseignement sont assez différents, ce que vous donnez est une histoire : je m’assoie et j’écris. Je commence au début et je vais jusqu’à la fin sans penser à un plan. Mais les profs doivent désormais enseigner cette méthodologie particulière. Tout d’abord on fait un plan, qui a début, milieu et fin. Puis vous faites un brouillon, puis en cours de route vous y ajoutez un morceau, puis en enlevez un autre pour arriver à une version finale, et comme ça vous serez dans le bon. C'est faux, vous ne serez pas dans le bon. Je n’ai jamais écrit comme cela. Dire à des enfants que c'est comme ça qu'on écrit, ça les décourage. Je n'ai jamais fait cela. Si jamais vous nous aviez dit ça à l'époque, qu'il faut faire ainsi ou ainsi, je n’aurais jamais fini ce texte sur la vue depuis ma fenêtre. C’aurait juste été une entreprise d’écriture, j’aurais eu 2/10 au lieu de 8/10 !

 

Enid Jones : Je pensais qu'il valait mieux faire ainsi que de vous dire de faire une introduction etc., etc. Et je me sentais si restrictive, quoique je voulais voir écrire, je ne pouvais jamais le faire de cette façon.

 

Philip Pullman : Ecrire est un processus de découverte. Ce n’est pas seulement connaître des choses et les écrire. C’est découvrir ce qu’on écrit au moment où on l’écrit, et si on sait à l’avance ce qu’on va écrire, on ne découvre plus rien. La manière dont j’écrivais quand j’étais dans la classe d’Enid, est exactement la même que celle d’aujourd’hui. J’adore écrire dans la quasi-obscurité, peu importe ce qu’il arrive ensuite.

 

*Musique*

 

Terry Jones : Après plusieurs années d’enseignement, Pullman réalise finalement son ambition, devenir un conteur publié. Et à la publication de son premier livre, il fait en sorte que son ancienne institutrice soit l’une des premières à recevoir un exemplaire.

 

Philip Pullman : Et je me suis dit que j’aimerais en envoyer une copie à Enid, j’en ai donc envoyé une, et nous avons parlé de sa création et je lui envoie une copie de chacun de mes livres depuis.

 

*Musique*

 

Enid Jones : Chère Miss Jones, comment allez-vous ? Je me dis toujours que je dois revenir et rendre visite à ceux que j’ai connu et les lieux dont je me souviens, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment, je crois que quand je vous ai écrit pour la dernière fois, je commençais juste à écrire ce roman, eh bien, le voilà. Terminé et publié. Et j’espère que vous l’apprécierez. Votre élève d’autrefois, Philip Pullman.

 

*Musique*

*vous écoutez Philip Pullman and Miss Jones, ici sur BBC4, avec moi-même, Terry Jones*

Terry Jones : Philip n’a pas tout trouvé semblable à ses attentes dans le fait d’être un auteur publié. Et dans cette lettre, il partage ses frustrations avec son ancienne prof du secondaire.

 

Enid Jones : Et il dit de ne jamais juger un livre à sa couverture. Mais bien sûr, on le fait tous, et à juste titre. C’est pourquoi les éditeurs montent des très onéreux départements artistiques. Mais ils peuvent faire des erreurs, (souligne-t-il). Je couvrirais de papier marron, si j’étais à votre place, comme nous le faisions à l’école avec les manuels. Les mots suffisent largement. Mes chaleureuses pensées, Philip.

 

*Musique*

 

Philip Pullman : C’est toujours un plaisir de savoir qu’elle a mon dernier livre et mes lettres. J’ai des nouvelles des chats, et c’est un regret pour moi de ne pas vivre plus près ; là où je suis, c’est loin. Chaque fois que je suis dans ce coin, je viens dire bonjour. Et quand on regarde depuis les rochers vers le Château d’Harlech, qui est construit bien au-dessus. La mer venait à ses pieds quand ça a été construit. Maintenant, c’est une zone plate, avec des dunes de sable, de grandes dunes de sable, et la mer et la presqu’île dans le lointain. Et le long de cette zone il y a l’école où j’allais, celle dont on a parlé tout ce temps, et vous regardez vers Snowdonia dans cette direction. Pour moi, la magie du paysage est la Morova, la plaine avec les dunes et les plages et les prés marins et le vent. C’est un endroit de transition, c’est un entre-deux. Ni la terre, ni la mer, ni la montagne, ni la plaine, j’aime tout simplement cet endroit. La plage d'Harlech et ses dunes de sable reviennent toujours dans mes rêves.


Enid Jones : Et cette vue est appelée Good God Corner, parce que tout le monde dit Bon Dieu [Good God en VO, NdT] devant elle.

 

Philip Pullman : C'est un endroit merveilleux pour les photographes et plus particulièrement par une journée ensoleillée. Car cette courbe sensationnelle est un déchaînement magnifique.

 

*Musique*

Terry Jones : Le rêve, comme les paysages, est dans les livres. Et ceci aussi est une dette qu’il a envers son institutrice.

 

Philip Pullman : J’ai expliqué ce qu’Enid a fait pour moi dans les remerciements à la fin du Miroir d’Ambre quand je parle de l’éducation comme le mariage entre la délectation et la responsabilité. Car cela commence dans la délectation, le plaisir partagé, l’exaltation partagée de lire quelque chose que vous aimez et d’en parler. Puis ça devient une responsabilité, la responsabilité  croissante de ce besoin de dire clairement ensuite ce que vous avez ressenti, d’expliquer ce qui est particulièrement émouvant ou complexe ou intéressant dans ceci. Et la responsabilité émerge naturellement de la délectation, c’est ce que j’ai appris auprès de ce cette dame, il y a de cela toutes ces années, car elle nous a éduquée en suivant ces deux voies.

 

Enid Jones : C’est très gentil. Je me sens un peu comblée parfois.

 

*Musique*

Terry Jones : Dans la trilogie A la Croisée des Mondes, Philip Pullman a créé un univers si tangible et évocateur qu’il est pratiquement impossible de penser qu’il n’existe pas quelque part. Les livres se déroulent dans un cercle relevé d’imagination qui s’élève et se concrétise d’une façon merveilleuse. Et tout du long, le livre réussit sur le plan humain et sur la teneur philosophique. Ce qui explique pourquoi il y a eu un tel engouement mondial. Mais là encore, cet ancien enseignement trouve encore le temps de correspondre.

 

Philip Pullman : C’est la seule personne qui m’ait toujours connue depuis un aussi jeune âge, en dehors des membres de ma famille ; mes parents sont tous les deux décédés. Et je considère Enid comme une sorte de mère de substitution…


Enid Jones : Tu sais, je dirais que je t’ai adopté maintenant…

 

Philip Pullman : Enid est mon lien avec l’enfant que j’ai été, et personne d’autre ne tient son rôle dans ma vie. Quand je sors un livre, la première chose que je fais est de lui envoyer un livre... Et la publication n’est pas achevée avant cela…

 

Enid Jones : Je suis ravie quand le livre arrive.

 

*Musique*

Terry Jones : Et tout a commencé là, dans ce chaotique déchirement de la côte galloise, avec la relation prof/élève qui s’est transformée en une amitié qui perdure depuis désormais près d’un demi-siècle. Pour moi, Terry Jones, cela a été un plaisir d’avoir l’opportunité de rendre hommage au génie de Philip Pullman et de Miss Jones. Mais comment Miss Jones jauge le travail littéraire d’un ancien élève ?

 

Philip Pullman : Je prends même un 2/10

 

Enid Jones : Oh, je lui mets 10/10.

 

 

**********

 

Philip Pullman et Miss Jones vous a été présenté par Terry Jones et produit par Carry Nelson Devie.

 

 

 

 

Réflexion de Terry Jones (absent dans l’émission initiale, enregistré à posteriori ?), présentateur de l'émission et mondialement connu pour son appartenance à la troupe des Monty Python...

J’ai en fait pris conscience du travail de Philip Pullman par l’intermédiaire du fils de mon voisin, qui devait avoir 12 ans à l’époque. Il m’a dit : « vous DEVEZ lire ce livre appelé Les Royaumes du Nord » Il m’a tanné pendant près d’un an pour dire qu’il fallait que je le lise et éventuellement, sans enthousiasme, je l’ai acheté, je l’ai lu et bien sûr je ne pouvais pas m’arrêter. Ce qui vraiment impressionnant avec la fantasy chez Philip, c’est qu’elle touche constamment à notre monde, à notre condition humaine, c’est pour cette raison, pour moi, que c’est un chef d’œuvre.

Parmi les trois livres, Les Royaumes du Nord, La Tour des Anges et Le Miroir d’Ambre, je crois que celui que j’ai le plus dévoré était Les Royaumes du Nord, parce que j’adore le monde d’Oxford, qu’il détourne, juste un monde étrange, qui sonne très familier tout en semblant bien différent. C’est l’une des clés de la fantasy de Pullman, c’est une fantasy qui semble familière, rien de plus. C’est quelque chose de brillant.

Ce qui m’a semblé édifiant, à la fin des Royaumes du Nord, c’est qu’on ne sait pas comment le prendre, comment quelqu’un peut produire un tel volume de fantasy, qui prend son essor, et où peut il mener ailleurs après cela? 

Et le grand deal avec La Tour des Anges, c’est ça. Mais pour Le Miroir d’Ambre, il y a vraiment certaines sections qui sont fabuleuses. Quand ils vont dans la ville des Morts, et qu’ils ont toutes ces ombres allant et venant autour, les regardant pendant le repas, c’est un concept tout simplement brillant de la Mort. C’est une sorte de philosophie intérieure.

 

 

 

 

Mille mercis à Miss Bernadette N. pour son aide précieuse dans la complétion de cette traduction.

 

Le Poème de T.S. Eliot est disponible ici :

http://www.americanpoems.com/poets/tseliot/6602

 

 


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