a moins que je me trompe ....quelqu'un peut-il m'éclairer svp

Modérateur : Régents
Oui, parce que l'autre pensée a, elle aussi, un cadre dans lequel elle enferme le sujet qui pense. Il suffit juste d'être conscient des limites dans lesquelles la pensée, toute pensée, s'exerce et construit l'univers que nous comprenons et dans lequel nous vivons.mccime a écrit :juste une question, ce type de philosophie est-il accessible pour quelqu'un qui est conditionné dans un raissonnement occidental ? parceque là franchement je comprends à peu près la théorie (enfin, le petit bout de théorie exposée ici) mais pour ce qui est de l'appliquation pratique. ça reste pour le moins ... obscur.
savant. En d'autres termes, l'homme entraîna Dieu dans sa chute. »« Mais peut-on se réveiller du réel ? Voilà encore une question absurde pour celui qui est dans le réel et qui le juge selon des principes qui lui sont immanents. Tant que nous n'échapperons pas à l'immanence, nous demeurerons les esclaves du donné. Celui qui a vu un oiseau entrer dans une chambre par la fenêtre ouverte, sait qu'il est rare que l'oiseau puisse s'échapper : il cherchera une issue en haut, il se heurtera au plafond jusqu'à ce qu'exténué, les ailes brisées, il tombe à terre. La fenêtre est ouverte, mais pour l'atteindre, pour échapper, il faudrait changer de direction. Ainsi de notre pensée : elle ne connaît qu'une seule dimension et ne parvient donc pas à s'échapper du cercle magique. Pour le survoler, il faudrait qu'au mépris de la raison elle reconnût sa seconde dimension ; autrement dit, qu'elle eût l'audace d'admettre que l'horreur, le dégoût, le désespoir sont des arguments, que sur la balance de Job, la souffrance de l'homme pèse plus lourd que les sables de la mer, que les raisons du coeur que la raison ne connaît pas, qu'elle se refusera toujours à reconnaître, peuvent nous révéler la vérité en nous y faisant participer, et nous libérer. Certes, s'il s'agit de déterminer la parallaxe d'une étoile, il faut éliminer tous les éléments psychologiques, subjectifs, susceptibles de troubler les résultats de l'observation. Mais cette méthode scientifique peut-elle être transférée telle quelle dans le domaine métaphysique ? Son application aux problèmes métaphysiques n'est justifiée que si nous postulons que l'Etre a une structure déterminée et qu'il ne nous reste plus qu'à la constater en extirpant tout ce qu'il y a en nous de personnel, en nous réduisant pour autant que faire se peut, au pur sujet de connaissance. Nous voilà donc soumis à une contrainte contre laquelle l'éthique qui imprègne toute philosophie rationaliste (mais y a-t-il une philosophie qui ne soit pas rationaliste ?) nous interdit même de protester. Protester, revendiquer, n'est pas seulement vain, c’est bas, immoral : logique et éthique se soutiennent réciproquement. Il ne nous reste comme fiche de consolation que la conscience de notre grandeur, de notre héroïsme devant l'univers qui, nous ignorant, nous écrase. S'il eût été un être moral et raisonnable, Orphée aurait accepté la mort d’Eurydice et compris que ce n'était qu'un événement "naturel", mais se souciant peu de la noblesse et de la grandeur du héros tragique (grandeur qui n'existe d'ailleurs que pour les autres, non pour le "héros", cet être traqué), Orphée osa agir en être vivant et non en appareil enregistreur doué de conscience ; mais il finit par succomber : tenté de vérifier la présence d'Eurydice, il se retourna.
Kierkegaard exige des philosophes qu’ils vivent dans les catégories dans lesquelles ils pensent ; Chestov, lui, appelle les hommes " à penser dans les catégories dans lesquelles ils vivent ", c’est-à-dire à introduire dans leur pensée métaphysique ces lugere, ridere et detestari que Spinoza avait privés de tous droits au profit du seul intelligere, et qui nous permettraient de chercher d’une façon intéressée et d’intervenir directement dans les réponses aux questions qui nous importent le plus.
Mais sommes encore dans le domaine de la philosophie ? Si la philosophie, ainsi que Chestov se plaît à le répéter après Plotin, est le "plus important", si elle recherche "la racine des choses", alors la pensée chestovienne est une pensée philosophique, bien qu’elle s’efforce d’atteindre la racine des choses par des voies différentes de celles que suit la philosophie qui aspire à être scientifique et se veut un "libre examen". Du point de vue de Chestov, ce libre examen n’est aucunement libre puisqu’il consiste à s’abandonner à la raison et à reconnaître le principe de contradiction comme critère suprême de la vérité. Le libre examen tel que le conçoivent la science et la philosophie qui se modèle sur la science, c’est le renoncement à tous les préjugés, sauf précisément à ce préjugé qu’il est indispensable de renoncer à tous les préjugés, c’est-à-dire aux prétentions du vivant. Cet examen prétendu "libre" affirme avant toute recherche que c’est la nécessité qui est à la racine des choses, quel que soit le nom dont il pare ladite nécessité. Mais il faut bien constater qu’une pareille méthode présente vis-à-vis des efforts spasmodiques de Chestov ce précieux avantage de nous offrir des réponses qu’il est parfois possible de contrôler selon certaines règles, tandis qu’avec Chestov toutes les questions restent finalement en suspens. (…)
La connaissance du bien et du mal, de la vérité et de l'erreur, nous met en face de choses qui sont ceci ou cela, et ne nous laisse donc tout au plus (si l'on admet le libre arbitre) que le pouvoir de choisir entre ceci ou cela, et non de faire en sorte que ce que nous voulons soit, et ce que nous ne voulons pas ne soit pas.
Autrement dit, le bien et le mal, la vérité et l'erreur sont le produit de la connaissance qui a pétrifié l'être et anéanti du même coup notre liberté créatrice. En effet, connaître, c'est "regarder derrière soi", enregistrer ce qui existait déjà avant nous, ce qui s'est constitué sans nous et le plus souvent contre nous. Chestov est le seul parmi les philosophes qui ait eu l'audace de proclamer que le serpent avait effectivement trompé l'homme, car tous demeurent persuadés que le trompeur en l'occurrence fut Dieu qui voulait nous laisser croupir dans notre ignorance en nous privant de cette chose admirable qu'est la connaissance du bien et du mal. A partir de là, la machine s'est mise en branle pour ne plus s'arrêter, et nous sommes pris dans l'engrenage des "donc", "en conséquence", etc. Pourtant, en nous promettant qu'ayant mangé du fruit de l'arbre de la science, nous deviendrions semblables à Dieu, le serpent n'a-t-il pas dit vrai ? Mais c'est ici que le piège s'est refermé : le Dieu de l'homme savant s'est transformé du coup en un Dieu savant lui aussi, infiniment