source : The Telegraph
traduction : Haku
Les scientifiques sont à la recherche de la matière manquante de l’Univers, dix ans après que Philip Pullman a parlé pour la première fois de ‘‘Poussière’’, rapporte Roger Highfield.
C’était une rencontre entre les mondes réel et imaginaire, entre le littéraire et le scientifique. Il y a quelques jours, le célèbre auteur Philip Pullman s’est retrouvé pour la première fois dans un grand laboratoire à discuter de la Matière Noire, une force mystérieuse qui façonne le cosmos.
Dix ans plus tôt, l’auteur résidant à Oxford avait créé le personnage du Dr Mary Malone, une nonne qui avait perdu la Foi en Dieu et qui s’était tournée vers la physique. Elle apparaît dans le second tome de sa trilogie de fantasy, récompensée à plusieurs reprises, A la Croisée des Mondes, dans laquelle elle étudie la matière sombre, qui est désormais le sujet d’une recherche scientifique dans le monde réel. ‘‘L’expression Matière Sombre en elle même est si évocatrice, mystérieuse et profonde, explique Pullman, que quand j’ai trouvé l'expression "his dark materials" [ses noirs matériaux, NdT] dans Le Paradis Perdu de John Milton, j’ai sauté dessus avec jubilation. C’était exactement l’effet poétique que j’attendais. ’’
Le mélange fécond par Pullman de science, magie et religion a depuis été adapté en deux pièces au National Theatre, va être porté au cinéma, et sera suivi de The Book of Dust, qui prolongera la fantasy pendant quatre ans. Armé d’un simple niveau de biologie de base, Pullman a relié les mondes de la foi et de la raison. Au prochain festival de la science de Cheltenham, il parlera du sens de la religion dans les sciences et la littérature, avec le célèbre et docteur en fertilité Lord Winston.
La saga de Pullman commence avec Lyra Belacqua et son voyage dans le Grand Nord d’un univers parallèle, à la recherche de la Matière Sombre, qu’elle connaît sous le nom de Poussière. Pullman se réfère en chemin à des présences de mondes parallèles pouvant être trouvés dans Alice avec son miroir, aux Voyages de Gulliver, et à la plus ancienne des histoires, les récits de Gilgamesh, écrits 2500 ans avant la naissance du Christ.
Les scientifiques flirtent aussi avec les dimensions parallèles. Ils voyagent sans fin dans le monde platonique des mathématiques. Parmi les cosmologistes, la théorie des mondes multiples comme interprétation de la théorie quantique, base du domaine atomistique, a trouvé ses faveurs, parce qu’elle supprime la nécessité d’un observateur extérieur, un Dieu si vous préférez. Pullman a assisté à des lectures d’un partisan des mondes multiples, le docteur David Deutsch, de l’université d’Oxford, et a étudié avec impatience cette théorie et autres ‘‘idées intoxicantes’’ dans de populaires écrits scientifiques. ‘‘ Ce que j’ai fait dans A la croisée des Mondes, c’est de voler à la manière d’une pie, les morceaux que je comprenais.’’
Inspiré à son tour par A la Croisée des Mondes, l’ingénieur en instrumentation Tim Durkin a invité Pullman à le visiter au Rutherford Appleton Laboratory proche de Dicot dans l’Oxfordshire, où une vision dans le monde réel de la mission du docteur Malone est en cours, grâce à Durkin, au professeur Nigel Smith, au docteur Roland Nusher et leurs collègues. ‘‘C’était une visite merveilleuse, a dit Pullman, ils m’ont donné une brillante et vivante incursion dans le domaine, en commençant par la raison pour laquelle on sait que l’univers comporte bien plus de matière que l’on peut voir.
Le groupe de Rutherford avec des collègues à Imperial, Sheffield et Edimbourg, prend part dans une aventure épique sur la Matière Noire, à l’aide de détecteurs, 1100 mètres sous la lande du nord du Yorkshire. Le laboratoire souterrain pour la Matière Noire de Boulby qui a coûté plusieurs millions, est enterré dans une mine en exploitation de sel et de potasse sur la côte, où des efforts sont entrepris pour résoudre le puzzle cosmique qui a déconcerté les scientifiques : 85% de la matière de l’univers manque à l’appel !
Analysez le mouvement des astres et vous pouvez déduire quelle quantité de matière les fait tourbillonner dans des îles de galaxies, et combien de matière fait que les galaxies se regroupent ensemble. En d’autres mots, vous pouvez déterminer quelle masse fait que l’univers apparaît tel qu’il est. Mais l’univers n’est pas ce qu’il semble. En 1933 l’astronome suisse observa un amas de galaxies qui ne contenait pas assez d’étoiles pour expliquer pourquoi elles tournaient, comme si l’attraction par quelque chose d’invisible faisait tourner les étoiles autour de lui.
De telles observations montrent que les étoiles ne comptent que pour environ 1% de la masse de l’univers. Et les particules neutrinos, comptent au plus pour une même quantité. Ajoutez les nuages de gaz, les planètes et autres objets, et vous trouvez 10% supplémentaires. Ce qui laisse encore près de 85% à déterminer.
Les candidats à la matière noire avancée sont de plusieurs catégories, avec deux grands groupes : les machos ( des auréoles d’objets astronomiques très compacts) qui sont des étoiles ratées assez chétives, et les Wimps (faibles et massives particules en interaction), des reliques de particules sub-atomiques issues du Big-Bang originel.
La Matière Noire de Pullman, la Poussière, est un nom pour ce qui se passe lorsque la matière commence à se comprendre elle-même. C’est pourquoi elle joue un rôle si important dans la trilogie, dans laquelle les Erudits de l’Eglise craignent que ceci puisse même mettre Dieu à bas. Pullman a fait un bond dans l’inventivité en faisant de la Poussière ‘‘un moyen de représenter la conscience humaine, la chose la plus mystérieuse de l’univers.’’
Une partie de l’inspiration pour cette idée repose tout près, à l’université, dans la suggestion controversée du mathématicien Sir Roger Penrose selon laquelle la conscience est liée à la théorie en développement de la gravité quantique, qui unira la théorie quantique de l’infiniment petit avec la relativité générale, théorie actuelle de la gravité et utilisable à grande échelle. ‘‘C’est une idée extraordinaire’’, dit Pullman.
Pour ce qui est de la quête scientifique visant à trouver la Source Noire de la gravité, aucun Wimps n’a encore été détecté à Boulby. ‘‘Mais qui sait, dit Pullman, si quiconque la découvre, je n’imagine nulle part meilleur équipement en technologie, ou meilleure provision en cerveaux ; et sa compréhension nécessite d’en saisir les implications.’’
Durkin l’a trouvé ‘‘quelqu’un de charmant et brillant’’. Rutherford a également fait grande impression à Pullman. ‘‘Le sens du travail réel et important, aux limites de ce que nous connaissons actuellement sur l’univers était passionant’’ a-t-il dit en se référant à la preuve d’une étrange anti-gravité appelé Energie Noire. ‘‘Donc, il y a encore un paquet de choses à découvrir c’est un mystère sans fin.’’
Il partage le point de vue du professeur Richard Dawkins, le militant athée, selon lequel la science n’est pas l’ennemi de l’émerveillement. ‘‘Les sentiments d’émerveillement , de joie et de respect que les humains ont toujours ressenti face à la nature et le mystère de notre vie ont parfois pris une expression religieuse et parfois poétique ; et parfois ils ont été exprimé par des écrits à propos de la science.’’
Pullman est souvent peint comme anti-religieux, mais il n’est pas ‘‘aussi sévère’’ que Dawkins. Il ne professe aucune religion, pas plus qu’il ne pense à la possibilité de l’existence d’un Dieu. Il ne croit pas que la moralité nécessite une religion. Mais il accepte que nous ayons besoin de croire en quelque chose.
Pullman a suscité la controverse car il craint la capacité de la religion à ‘‘intoxiquer et ensorceler les esprits rationnels’’ plus particulièrement lorsque cela se voile dans la politique.
A la Croisée des Mondes fait le portrait du dogme de la pensée dans le monde de Lyra, où les règles de l’Eglise sont inflexibles. ‘‘L’histoire est contre ceux qui pervertissent et font mauvais usage de la religion, ou tout autre sorte de doctrine avec un livre Saint et une communauté ecclésiastique et un instrument de pouvoir qui exerce une autorité inattaquable, en vue de dominer et supprimer les libertés humaines’’.
On peut aussi placer trop de foi en la science, ou du moins trop dans la compréhension du jour plutôt que dans la méthode scientifique. Même quand le mystère de la Matière Noire sera réglé, la science générera plus de questions que de réponses.
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