Eärwen a écrit :Edit de Nef : Fait suite à l'introduction de Philip Pullman
Je n'ai pas la même vision des choses. Le monde ne me semble pas ridiculement clos et étroit, au contraire, il me paraît trop grand pour moi, et je me dis que je n'aurais jamais compris le millionième du millionième du millionème du millionème de ce que j'imagine avant d'être obligée de le quitter....
Quand je parle de "fermeture" et d'étroitesse du monde, je veux dire que notre manière de penser les choses le rend tel, nécessairement, mais qu'il ne l'est pas en lui-même, bien sûr.
Nous faisons exister un certain monde par une certaine vision du monde. Notre vision est parcellaire et singulière, même si la science l'élève à une "universalité" de convention ou de raison. Seul Dieu s'IL existe pourrait TOUT voir. Mais est-ce que cette totalité aurait encore un sens pour lui ? Nous
interprétons plus que nous ne comprenons le monde. Il n'existe d'ailleurs pas en dehors d'un sujet qui le pense. Le monde existe-t-il si plus personne ne le pense ? Si oui, de quel monde s'agit-il ? Certainement pas du nôtre.
Que serait le monde dans l'entendement de Dieu s'Il existe ?
Exemple : la logique occidentale fondée sur le principe de non-contradiction ou du tiers-exclu découpe le réel de manière arbitraire, mais nous ne pouvons pas vraiemnt faire autrement. Cette manière de penser dit que A et non-A ne peuvent coexister. Ne peut-on pas opposer au dilemme de notre logique binaire le tétralemme des orientaux (Nagarjuna par exemple) ? Mais est-ce que ça ne revient pas, finalement, encore à un découpage et à une fragmentation du monde par et pour une pensée qui ne peut le saisir dans sa globalité ?
Eärwen a écrit :Pullman dit : Il y a beaucoup de choses que nous n'avons pas encore apprises à lire. Ce qui signifie qu'il nous suffirait de les apprendre pour savoir le faire. Nous ne savons pas le faire, parce que nousu n'avons jamais appris, pas parce que nous en sommes incapables !
Pas si sûr. Il faut distinguer le monde tel qu'il est en soi - noumène - et le monde tel qu'il nous apparaît - phénomène. Distinction kantienne. La manière dont il nous apparaît "l'empêche" d'être autre. Si nous pouvons adopter une autre vision du monde, nous ne pouvons penser avec un autre entendement et d'autres sens que les nôtres... Alors, certes, on peut lire d'autres choses, de nouvelles choses ou voir différemment les anciennes, peut-être...
Or, derrière le phénomène y a-t-il quelque chose ? ou n'est-ce que le voile de l'illusion (Schopenhauer et la maya de la philosophie indienne) ?
Or, une lecture ne procède-t-elle pas toujours d'une pétition de principe ? La lecture est toujours interprétative : elle déchiffre des codes à partir d'une méthode préalable. Et cette méthode préalable limite déjà et induit ce qui va être lu. J'estime que toutes ces lectures ne sont que lectures et non contact immédiait avec ce qui est. Notre pensée est un intermédiaire entre le monde et nous.
Eärwen a écrit :Quand au passé, au futur, au présent, c'est assez complexe. Déjà, le présent n'est pas un moment. On ne peut pas "saisir" le présent, il n'y a pas de présent, ça n'existe pas, le présent, c'est simplement un point fictif, un pont entre passé et futur.
Le temps n'existe pas si on veut vraiment aller au fond de notre pensée. Pas plus le présent que le passé ou le futur. Ce sont des vérités de science ou de convention, des vérités
utiles pour le sens commun. Ce qui existe, c'est que nous vivons, mais ça n'existe que pour nous.
Eärwen a écrit :Le présent dont nous avons conscience, c'est pour moi justement cette trace laissée par une particule ionique (notre passé) dans une chambre à bulles (nous, notre vie, notre conscience). C'est le temps qu'il nous faut pour digérer, comprendre, relier ce qui vient de se passer (=le passé) à ce qui va arriver (=le futur).
Pas d'accord. La chambre à bulles est l'incarnation ou la mise en pratique de la structure d'une pensée (humaine) qui a fabriqué ce détecteur. Mais elle ne peut détecter, grâce à lui, paradoxalement, que ce qui est déjà contenu en germe dans sa pensée : en effet, cela revient à chercher ce qu'on a déjà trouvé ! Ce qui est trouvé est suggéré par la manière de chercher qui contient déjà en elle-même, à titre de probabilité par exemple, l'objet cherché. Nous sommes enfermés dans notre pensée et rien d'étranger à nous ne peut y pénétrer. La réforme de l'entendement ne peut se produire qu'en son sein, pas par l'introduction de quelque chose d'externe. Est-ce une autre manière de lire ? Non, on change juste de lunettes. Une "autre" manière de lire serait de lire avec d'autres yeux, mais on ne le peut.
En fait, je ne pense pas que l'on puisse s'en sortir par la pensée.
Ce qui échappe à la pensée et au langage l'est par sa nature même (et non pas parce que c'est mal pensé ou mal dit). Ce qu'on pense et
croit connaître n'est que la relation que l'on a aux choses. Il faudrait être présomptueux ou fou pour croire que l'on va comprendre quelque chose à la pensée humaine -quand on songe aux grands esprits des philosophes qui ont passé leur vie à penser le monde et le sujet - autrement
qu'en voyant le monde comme une fiction, la nôtre. Le monde est l'histoire que nous écrivons. Et l'imagination est un substitut très appréciable ...