Alors, pour commencer, mention particulière pour le générique, qui donne une excellente première impression en synthétisant les éléments principaux de la trilogie dans une magnifique animation sur un très beau thème musical. Et on sait bien qu'un très bon générique, ça contribue déjà grandement à mettre le spectateur dans un bon état d'esprit au début de chaque épisode.
Du coup, rentrons dans le vif du sujet, et commençons par parler un peu du casting:
Dafne Keen, qui m'avait vraiment impressionné dans le film Logan (que je vous recommande à tous en bon passionné de comic books!), est absolument parfaite en Lyra: à la fois attachante, mignonne, mais aussi têtue et téméraire, la jeune actrice capte déjà l'essence de son personnage et livre une interprétation oscillant entre le touchant et l'entraînant.
Ensuite, James McAvoy en Lord Asriel. Alors déjà, petite parenthèse, il faut savoir que McAvoy est l'un de mes acteurs favoris, pour lequel j'avais développé une forte sympathie dans la saga X-men et qui m'a absolument bluffé dans Split et Glass, films dans lesquels il joue un personnage à 24 personnalités et livre une performance plutôt incroyable. Et pour être honnête, c'est de voir le nom de McAvoy affilié au projet qui a vraiment piqué ma curiosité, et qui m'a poussé à m'intéresser à cet univers. Alors qu'en est-il de sa performance en Asriel? Eh bien, comme toujours, il est absolument parfait! Dès le premier épisode, en à peine quelques scènes, il arrive à saisir toutes les subtilités du personnage: passionné, confiant, ambitieux et exalté par ses projets d'une part, mais aussi froid, distant, charismatique et intimidant d'autre part, on sent que McAvoy s'éclate en jouant ce personnage qu'il a l'air de tant aimer, et il apporte dès le début des nuances qui ne sont clairement perceptibles que dans le troisième tome de l'oeuvre originale.
Enfin, pour en finir avec les acteurs principaux, on a une Ruth Wilson qui correspond exactement à l'idée que je me faisais de Mme Coulter (peut-être un poil plus vieille que ce que j'imaginais en lisant), avec un personnage pour l'instant intrigant, dégageant une aura de grâce et de mystère.
Les autres acteurs secondaires (et le casting vocal, d'ailleurs) sont aussi très convaincants dans l'ensemble, on peut donc à mon avis conclure que c'est LA grosse réussite de la série pour l'instant, un cast qui donne vie de la plus belle manière à nos personnages favoris.
Mais bien évidemment, le pilote ne se résume pas aux acteurs, et parlons un peu de l'écriture et du scénario de Jack Thorne.
Pour commencer, on note que le scénariste a dû se plier aux contraintes du format série TV en 8 épisodes, qui requiert un rythme soutenu et donc une progression dans l'intrigue assez rapide, il fallait donc que Lyra quitte Jordan College et entame ses péripéties dès la fin de ce premier épisode. Ainsi, Thorne pose rapidement et efficacement les relations entre les personnages et l'univers (et ça fonctionne en grande partie grâce à la mise en scène de Tom Hooper, mais on va y revenir), et on remarque qu'on entre très vite dans le vif du sujet, aussi bien au niveau de l'intrigue que des thématiques. En effet, l'importance des daemons, de la Poussière et du Magisterium est posée dès maintenant, avec Lyra et Roger qui discutent de la forme finale de leur moitié dès leur première scène, l'importance accordée aux découvertes d'Asriel et à l'asile scolastique et la liberté académique ou encore les références à la Bible et au péché originel (cf. la scène entre Lyra et le Bibliothécaire au début).
On note aussi un nombre considérable d'ajouts, majoritairement bienvenus d'ailleurs compte-tenu de la direction empruntée, par rapport au roman. Ainsi, la thématique du passage à l'âge adulte est magnifiquement illustrée par la cérémonie gitane (qui en plus introduit parfaitement ces personnages), le Magisterium voit son point de vue plus développé que dans les livres avec l'introduction d'une intrigue consacrée au Père McPhail et à Lord Boreal et Mme Coulter se voit accorder un nouveau rôle assez bien pensé, en se faisant explicitement passer pour l'alliée de Lyra face aux Enfourneurs (ce qui amorce déjà son talent de manipulatrice et l'ambiguïté de ses allégeances).
Du coup, je trouve que l'intrigue est correctement condensée, on garde la trame principale et l'essence des thèmes, et les lecteurs ont même des ajouts pertinents à découvrir qui donnent une valeur ajoutée à cette adaptation.
Et pour finir, la partie qui m'intéresse le plus quand on parle de cinéma: la mise en scène! Parce qu'on en parle généralement trop peu alors que c'est le principal vecteur de sens et d'émotion d'une oeuvre audiovisuelle, et en plus, pour ce premier épisode on a Tom Hooper à la barre, notamment connu pour son très bon
Le Discours d'un Roi, maintes fois récompensé.
Hooper a un certain talent pour utiliser sa caméra et montrer des personnages qui ne se sentent pas à leur place, et c'est donc un choix très pertinent de lui avoir confié les deux premiers épisodes, où Lyra doit successivement quitter Jordan College et fuir Mme Coulter.
Ce qui interpelle le plus dans cet épisode, c'est le travail de la caméra, et plus particulièrement le jeu de contraste entre une caméra à l'épaule instable et tremblante et une caméra plus fixe, fluide et stable. Hooper filme ainsi le monde de Lyra avec des objectifs grand angle, dans des plans larges longs et fixes qui donnent cette impression de grandeur, de majesté à cet univers (et soulignons la qualité remarquable de la direction artistique, avec des costumes et décors particulièrement soignés), qui est sublimé par une photographie et une lumière très esthétiques, qui restent cependant suffisamment sobres pour qu'on garde un sentiment de réalisme, que l'univers reste tangible et similaire au nôtre. Avec cela contraste l'usage très régulier d'une caméra épaule très tremblante et instable, qui marque une grande diversité de sens en fonction des scènes.
On va s'attarder un peu sur quelques exemples, le procédé étant vraiment très travaillé. D'abord, l'usage le plus marquant de la caméra épaule, c'est bien sûr lors des scènes où Lyra et Roger s'amusent à Jordan College: la caméra tremblante rend alors les courses-poursuites des enfants très dynamiques, entraînantes et brutes; mais derrière cette représentation de la candeur et de la joie des enfants, on trouve aussi un sens qui s'inscrit dans la droite lignée du style d'Hooper, et qui donne un sens aux coupes de Jack Thorne par rapport au livre. Effectivement, en filmant les deux personnages les couloirs étroits de Jordan à hauteur d'enfant , dans un cadre resserré et tremblant (soit le contrepied de la manière traditionnelle de filmer cette architecture majestueuse) ou dans des plans très larges qui les isolent dans l'immensité du décor et renforce le sentiment de solitude, Hooper donne tout du long cette impression de "pas à sa place" vis-à-vis de Lyra et Roger, enfants seuls dans un monde d'adultes, et c'est ce qui légitime, et rend même nécessaire le départ de Jordan College dès la fin de ce premier épisode. En outre, la caméra épaule est aussi utilisée pour représenter le côté "toujours occupé dans tous les sens" d'Asriel (ce qui instaure une certaine force émotionnelle dès que la caméra et lui se posent, lors de son discours, de la magnifique scène où il couche Lyra qui construit par l'image toute leur relation ou lors de son départ avec la réplique de Lyra sur ses parents) ou pour marquer la confusion des personnages lorsque Lyra reçoit l'aléthiomètre.
Et puis, en dehors du travail de la caméra, j'ai envie de revenir sur deux procédés de mise en scène plus ponctuels que j'ai trouvé très bien pensés concernant Asriel et Coulter:
-Lors de la scène du discours d'Asriel, on a ce plan fort de sens:
Asriel y est d'un côté éclairé et de l'autre plongé dans l'obscurité, ce qui fait d'abord écho à son discours, puisqu'il est illuminé par le projecteur qui représente ses découvertes, mais bridé par l'obscurantisme qui entrave la "liberté académique" de Jordan College, mais aussi au personnage d'Asriel en général, héros vaillant, inspirant et charismatique d'une part, mais prêt aux actes les plus froids et glaçants pour arriver à ses fins d'autre part. Un plan qui saisit donc en un instant les nuances d'Asriel par un simple jeu de lumières.
-L'introduction de Mme Coulter:
Filmée à travers des travellings et un panoramique très fluides et stables (fluidité et stabilité qui caractérisent d'ailleurs le Magisterium dans la mise en scène), elle contraste avec toute l'atmosphère tremblante et instable instaurée: elle est l'incarnation de l'ordre, de la grâce et de la noblesse, sublimée par un thème aux percussions martiales mais aux envolées à la fois gracieuses et sournoises. Encore une fois, toute la complexité d'un personnage captée par quelques idées simples de mise en scène.
Pour en finir avec la mise en scène, on notera aussi l'usage des très gros plans et/ou travellings se rapprochant des personnages lors des élans d'émotion, aussi bien épiques (la fin du discours d'Asriel), simples et intimistes (Lyra jouant à projeter l'ombre d'un oiseau en rêvant du Nord) ou pour transcrire une certaine alchimie entre les personnages (la discussion de Coulter et Lyra sur le Nord), avec parfois l'usage de grands angles couplés au gros plans pour isoler le visage des personnages au milieu d'un arrière-plan vide et flou et créer un sentiment de malaise.
Voilà, donc, en conclusion, un excellent épisodes à de nombreux niveaux, aussi bien concernant les acteurs, l'écriture, la mise en scène et même la très belle musique de Lorne Balfe. Après cette réussite totale, j'ai très hâte de voir ce que nous réserve la suite, et les extraits de l'épisode 2 publiés aujourd'hui me confortent dans l'idée que ça va être très bon!