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L'Art des télèbres :.
Jeudi 31 Juillet 2008 - 19:52:38 par Haku - Détails - article lu 3276 fois -

L’Art des ténèbres…







Lorsque Philip Pullman s’est lancé dans son histoire sur deux enfants de 12 ans, il pensait n’intéresser qu’une poignée d’enfants intelligents et seulement quelques adultes. Jusqu’à présent « A la Croisée des Mondes » s’est vendu à 15 millions d’exemplaires. Robert Butler a déjeuné avec l’auteur…



Issu du magazine INTELLIGENT LIFE, décembre 2007



Il avait déjà écrit des contes de fées, des histoires policières, des mélodrames, des thrillers et des histoires fantastiques, mais quand Philip Pullman a entreprit sa trilogie A la Croisée des Mondes, il est revenu à l’histoire la plus fondamentale de toutes : celle avec le serpent, la pomme et la feuille de figuier. Il a resitué Adam et Eve en un garçon et une fille de 12 ans, qui vivent dans des univers parallèles, se rencontrent, tombent amoureux et passent la nuit ensemble. Cette fois Dieu, connu sous le nom de l’Autorité, s’éteint. « Je pensais ne rencontrer qu’une petite audience, » dit Pullman, « une poignée d’enfants intelligents quelque part et quelques adultes doués qui penseraient, ‘C’est pas mal, tout-à-fait satisfaisant ‘ ». Il se trompait.


Les livres ont été traduits dans 40 langues et se sont vendus à 15 millions d’exemplaires, et ce n’est que le commencement. En 2003 et 2004, une version théâtrale connut un énorme succès au National Theatre de Londres. Ce mois-ci, l’ampleur du phénomène a atteint un nouveau degré, grâce à la sortie du film, avec Nicole Kidman et Daniel Craig en vedettes. Il a été produit par New Line, à qui nous devons Le Seigneur des Anneaux 1, 2 et 3. Pendant que New Line s’attaquait à la réalisation de la trilogie, la réécriture de la Genèse 3 par Pullman se sera envolée bien au-delà du stade de la lecture du soir, de la recherche d’une librairie, du théâtre. Elle sera devenue une histoire connue par des gens qui ne liront peut-être jamais.


A la Croisée des Mondes situe ses origines dans les écrits de Milton, Blake et Kleist, mais si ça peut sembler littéraire et savant, ne vous inquiétez pas : ça ne se voit pas : c’est un film de fantasy à gros budget qui passe dans un cinéma près de chez vous, et pratiquement près de chez n’importe qui d’autre. Ses principaux personnages – Lyra, Mrs Coulter, Lee Scoresby- seront sous peu aussi célèbres que Dumbledore et Gandalf. Mais il y a une différence. Pullman a écrit un récit épique possédant à la fois la diversité attirant un public massif, et les mêmes thèmes profonds qu’Homère et la Bible. C’est une histoire pourvue d’une sombre et puissante influence sous-jacente : un mythe de la Création pour le XXIe siècle.
L’auteur s'installe dans le bureau de sa ferme près d’Oxford, entouré de livres, d’instruments de menuiserie Black & Decker, et d’un cheval à bascule qu’il fabrique pour un de ses petits-enfants. Deux carlins, Hoagy et Nellie courent dedans et dehors. A côté, notre photographe et ses deux assistants transforment la cuisine en un studio photographique. (« Je n’ai jamais été en tête d’une couverture, n’est-ce pas ? » demande Pullman à sa femme, Jude qui accueille chaleureusement cette invasion de force avec une imperturbable tolérance.) Pendant les prises,
sa large figure et son front haut et bombé changent radicalement quand il met un chapeau à large bord (un peu à contrecœur) et un béret (un peu plus enthousiaste) : en tant qu’auteur, il préférerait avoir l’air d’un intellectuel de Paris plutôt que d’un gentleman Conservateur.


Sur la table de la salle à manger à côté, une pile de nouvelles publications et de produits dérivés siège près d’une image de Pullman en compagnie du nouveau James Bond. A la Croisée des Mondes comprend trois volumes, Les Royaumes du Nord (1995), La Tour des Anges (1997) et Le Miroir d’Ambre (2000). C’est Les Royaumes du Nord qui a été adapté en film, renommé La Boussole d’or – le titre de Les Royaumes du Nord dans les librairies américaines. La Genèse 3 comprend 24 versets ; A la Croisée des Mondes pèse 1300 pages. Pullman a passé sept années dans une cabane au fond de son jardin d’Oxford, écrivant ses trois pages quotidiennes (pas plus, pas moins). Environ une page sur dix marque la coupe. Les mathématiques seules sont impressionnantes.





Tout a commencé un vendredi après-midi pluvieux, dans les 15 dernières minutes d’une classe à Oxford. C’est plutôt comme vous voudriez le raconter. Après la séance d’Anglais à Exeter College, à Oxford, Pullman s’adonnait à des tâches à Moss Bros, un magasin de location de costumes et dans une bibliothèque publique. Agé de 25 ans, il se qualifiait d’enseignant, parce qu’il aimait avant tout l’idée des vacances. C’était au début des années 70, il n’y avait pas de Programme National, pas de Tests d’Accomplissement Standards ni de tables de ligue, et aucun « ignorant arrogant et stupide à Whitehall pour me dire ce que je dois faire et comment enseigner ». Donc Pullman trouvait qu’il avait du temps pour raconter des histoires. Il pense que tous les enseignants devraient être capables de raconter une histoire « à un moment prévu d’une classe, lors du dernier quart d’heure d’un vendredi après-midi pluvieux ». Pas la lire, la raconter – insiste-t-il. « Si vous lisez sans cesse depuis un livre, rien ne change. Mais si vous la racontez, face-à-face, que vous improvisez un peu, que vous jouez autour… »

Il a entrepris sa tâche d’une manière très réfléchie. Au premier trimestre, il ferait les naissances et les morts des dieux et des déesses, leurs tempéraments et leurs agissements ; au second, il jouerait les origines de la guerre de Troie qui suivraient « L’Iliade » ; et au cours du troisième, il ferait « L’Odyssée ». Il préparait minutieusement chaque une histoire chaque semaine, de manière à la raconter sans notes. Il enseignait dans trois classes séparées, ce qui signifiait qu’il devait raconter chaque histoire trois fois par semaine. Une fois encore, les mathématiques sont impressionnantes. « Je dois avoir raconté chaque histoire 36 fois ». C’était un apprentissage idéal, lui donnant « un petit coin de terre caché, sans contrôle » pour cultiver son propre talent et trouver quelle sorte d’histoire il raconterait. Certains sont assez bons pour faire rire les gens ; il ne l’était pas particulièrement. « Mais j’étais doué pour raconter des choses passionnantes qui captivaient leur attention ». Il a esquissé tout un monde de « Il était une fois ». « Pendant ce temps », et « tout à coup », de mains cachées et de coups à la porte, de nuits sombres et orageuses, d’ombres et de surprises, d’ogres et, à plusieurs reprises, d’orphelins. Il dit qu’il ne pourrait plus raconter des histoires aujourd’hui. « Je serais jeté, j’irais en prison : ‘Vous n’êtes pas conforme au Programme National! Hors de ma vue!’»
Dans chaque école où il a enseigné, Pullman a écrit et mit en scène le spectacle de fin d’année, ce qui lui a permis d’atteindre une autre audience captivée : les parents. Il considérait les parents et les enfants comme un seul et même public (il déteste ajouter des blagues compliquées pour les adultes) et écrivait pour les deux tranches d’âge en même temps. « Je suis devenu meilleur à ça. Il est nécessaire de prendre votre histoire au sérieux, vous pouvez rire, oui, mais elle ne doit jamais faire l’objet de sarcasmes. Il faut toujours prendre l’histoire au sérieux. »



Son inspiration est venue d’un magasin de jouets familial à Covent Garden. « Je voulais des costumes, je voulais de la couleur et du spectacle. Ma source principale était le théâtre de papier, ces merveilleuses petites choses que vous pouvez obtenir chez Pollocks. J’ai tout le lot. Je les ai découvertes adulte, et j’en suis tombé amoureux. » Certaines de ses pièces scolaires sont devenues des livres pour enfants: et La magie de Lila. Il suffit d’entrer dans une librairie pour trouver Pullman entre Marcel Proust et Mario Puzo dans les rayons fiction, et entre Terry Pratchett et Arthur Ransome dans la section enfants. La seule différence, c’est la couverture. Quand Pullman revenait de l’école le soir, son fils aîné s’adonnait à ses pratiques musicales (il est maintenant un joueur de violon alto professionnel) et Pullman se rendait dans sa remise au fond du jardin. Il est le plus grand écrivain à succès depuis Roald Dahl à avoir travaillé dans une cabane. « Ma vraie vie a commencé », raconte-t-il, « Quand je rentrais du travail et que je me suis asseyais à ma table pour écrire trois pages quotidiennes ».


Personne ne peut accuser Pullman d’être sous-documenté sur son sujet : l’héroïne d’A la Croisée des Mondes est un garçon manqué de 12 ans, appelée Lyra Belacqua, or Pullman a passé 12 ans a enseigné à des filles de cet âge. Il enseignait dans trois écoles à Oxford, à une classe populaire, une classe moyenne et une entre les deux. Les élèves de la classe populaire, dont les parents travaillaient pour la plupart dans des usines d’assemblage de voitures, étaient très directs et lui laissaient voir immédiatement ce qu’ils pensaient. Les élèves de la classe moyenne, dont les parents étaient pour la majorité professeurs d’Université, avaient des façons plus subtiles d’exprimer leur désapprobation. Les trois écoles étaient assez différentes en termes socio-économiques, mais il a découvert au sein des classes les mêmes comportements qui s’appliquaient dans toutes. Il y a des rôles qui doivent toujours être remplis : celui du clown, le puant dont personne ne veut s’asseoir à côté et le roi et la reine.
« Si vous découvrez assez rapidement, dès les premiers jours, qui sont le roi et la reine, et que vous dirigez votre attention sur eux durant la première semaine ou plus, vous n’aurez aucun problème de discipline parce que tout le monde les suit. Ils ne vous suivent pas vous. C’est eux qu’ils suivent. »


Les filles en particulier se répartissaient en deux groupes. « Il y avait les raffinées d’une part, qui connaissaient toutes les paroles des hits et qui se tenaient au courant de la mode. Les plus précoces d’entre elles avaient un amoureux. Elles se donnaient de grands airs, elles se prenaient pour le beau monde, elles étaient des véritables petites Paris Hilton. Et il y avait un autre groupe. Elles n’étaient pas aussi adultes que les autres et aimaient toujours les petits poneys, elles m’apportaient des cadeaux et écrivaient (les cartes) avec une grande boucle, parfois même en forme de cœur, sur la lettre i. » Il a remarqué que si une fille passait d’un groupe à l’autre, elle endossait instantanément les attributs du nouveau groupe.
Dans les romans, Pullman met en scène ce passage de l’innocence à l’expérience à travers l’artifice des daemons. Tout le monde possède un daemon ou un animal spirituel : quand vous êtes jeunes, le daemon peut changer de forme ; et lorsque vous grandissez, votre daemon prend une forme définitive. Les daemons sont l’idée la plus brillante des livres. Pullman s’est inspiré des peintures de Leonard de Vinci (« la Dame à l’hermine »), d’Holbein (« la Dame à l’écureuil ») et de Tiepolo (« la jeune femme au perroquet »), où il semble il y avoir un lien psychologique entre la personne et l’animal. Six années plus tôt, dans son histoire pour enfants Jack Talons-à-Ressort, il présage déjà cette idée avec un papillon de nuit triste qui voltige pour représenter la conscience du vilain. Les quatre premiers mots d’A la Croisée des Mondes, « Lyra et son daemon… », Sont les quatre mots les plus importants de la trilogie. Tout découle de là. « J’avais pensé à la question centrale, concernant l’innocence et l’expérience et la transition qui s’opère durant l’adolescence, depuis longtemps. J’avais enseigné à des enfants du même âge que Lyra, les enfants qui passaient eux-mêmes par cette mutation physique, intellectuelle et émotionnelle dans leur vie. Le plus grand changement que nous ne traversons jamais.» Une fois, quand j’interviewais Pullman en face d’une salle bondée au National Theatre, il a éclaté de rire en expliquant ce qui était si particulier à cet âge-là : « Votre vie commence à la naissance, mais l‘histoire de votre vie commence quand vous découvrez que vous êtes né dans la mauvaise famille.»


Le seul moment où un auteur possède une certaine influence sur un script, m’a une fois raconté Pullman, c’est quand il vend les droits. Plus tard, il a peaufiné sa pensée en racontant à un autre journaliste que vous ne pouvez pas intervenir au début de la réalisation d’un film car ça revient à repousser du brouillard, et vous ne pouvez pas non plus intervenir à la fin, car vous essayez alors de pousser un mur de briques. Mais il y a une étape au milieu qui équivaut à pousser un lourd véhicule pourvu de roues, et ça vaut la peine d’essayer. Pullman a suivi la réalisation de La Boussole d’Or de loin. Tom Stoppard, le premier scénariste du film, est venu déjeuner. Pullman a lu plusieurs ébauches, ensuite Stoppard a quitté la production, et le directeur Chris Weitz a écrit des nouvelles versions. Pullman les a aussi lues et a écrit lui-même quelques bouts. Il n’a jamais tenu à être officiellement employé par la compagnie du film : « Ça signifie que je peux leur dire de se casser. »


J’ai rencontré pour la première fois Pullman en 2003, en écrivant The Art of Darkness, un compte-rendu dans les coulisses de la production du Théâtre National. Il m’a dit ensuite : « Je suis fondamentalement un conteur, pas une personne littéraire, si je peux me permettre cette distinction. Si j’écrivais une histoire qui possédait assez de vigueur et de vie pour devenir monnaie courante et être racontée par des gens qui n’avaient aucune idée que j’en étais l’auteur, rien ne me procurerait un plus grand plaisir.»


Sur un point cependant, il a formulé une opinion personnelle auprès des réalisateurs du film. « Depuis le tout début, je tenais à promouvoir l’idée que Mme Coulter serait interprétée par Nicole Kidman.» Mme Coulter est la méchante, glaciale et élégante, qui adopte l’héroïne. Il voulait Nicole Kidman dans ce rôle grâce à son interprétation dans le film Prête à tout, « Où elle joue une jeune femme ambitieuse qui se façonne une voie sanglante vers le haut de l’échelle sociale.» Kidman a apporté une modification du personnage qui mérite d’être notée. « J’ai écrit que la chevelure de Mme Coulter était noire. J’avais complètement tort. Vous pouvez parfois vous trompez sur vos personnages. Elle est blonde. Elle l’est forcément. » Il a fait l’éloge de l’incarnation blonde de Kidman (représentée ci-dessous). « Quand elle hausse un sourcil, la température de la pièce chute de 10 degrés. »




Newline.Wireimage.com

Le Monde imaginaire que Pullman a créé est dominé par une église cruelle et répressive. La Réforme ne semble pas avoir eu lieu, et Jésus existe à peine. Beaucoup de gens ont été choqués par ce portrait de l’église. L’Association des Enseignants Chrétiens a poussé ses membres à boycotter le montage de la production. Le journal The Mail of Sunday a qualifié Pullman comme étant « l’auteur le plus dangereux en Grande-Bretagne ». Plus récemment, la Ligue Catholique Américaine a appelé au boycott du film en invoquant qu’il « vend de l’athéisme aux des enfants ».


S’attendait-il à la controverse ? Il hésite : « Je suis assailli, non, pas assailli, c’est trop fort, je suis entouré par des fous. » le jour précédant notre interview, il a donné une séance de lecture au Sheldonian Theatre dans le cadre du Festival d’Oxford de Musique de Chambre. Il y avait 750 enfants venus d’écoles primaires de la région d’Oxford, écoutant de la musique et bouquinant. Un petit garçon a été sorti de façon « plutôt ostentatoire » avant chaque lecture de Pullman et a été ramené de nouveau quand la lecture était finie. « Apparemment ses parents se sont opposés à se qu’il écoute quoique ce soit venant de moi, faute de quoi, il risquait d’aller en enfer. »


Pullman raconte que les personnes qui sont susceptibles d’être choquées devraient avant tout voir le film ou lire les livres. « Ils découvriront tous une histoire qui attaque des choses telles que la cruauté, l’oppression, l’intolérance, la dureté, le caractère borné et qui célèbre l’amour, la gentillesse, l’ouverture d’esprit, la tolérance, la curiosité, l’intelligence humaine. C’est vraiment difficile d’être en désaccord avec ça. Mais les gens y arrivent. »


Comment réagit-il à ces attaques ? « Une réponse douce éloigne toute forme de colère, tel que formulé dans mon livre préféré. » (Les Proverbes 15 :1.) Donc il ne compte pas contre-argumenter ? « C’est une chose ridicule de répondre aux critiques de la part d’un conteur. Si vous avancez un argument, vous pouvez contre-argumenter et démontrer pourquoi votre argument est meilleur que les leurs. Mais si quelqu’un n’aime pas une histoire que vous avez écrite, que voulez-vous répondre à ça ? ‘Bien vous devriez’ ? »


Deux évènements ont été cruciaux pour faire de Pullman un écrivain. Le premier s’est produit au milieu des années 50, quand il avait neuf ans. Son père, un pilote de la RAF, venait d’être abattu au Kenya durant la révolte des Mau Mau. Sa mère s’est remariée très vite, et la famille s’est embarquée pour l’Australie. C’est là que Pullman se retrouva pour la première fois face à la BD et aux feuilletons de la radio : Clancy of the Outback, Dick Barton et Les Aventures de Superman. Pullman les a « dévorés ». Il se les ressassait sans cesse. Chaque nuit, après l’extinction des feux, il racontait des histoires à son petit frère (son premier public attentif), sans savoir comment terminerait une histoire lorsqu’il la commençait.


Après l’Australie, la famille s’est installée au Pays de Galles. Pullman a découvert un professeur d’anglais stimulant à l’école locale, celui qui lui a présenté « Le Paradis Perdu ».
Il raconte qu’il n’a pas réagi au texte en disant « ‘c’est un argument intéressant, oui, je suis d’accord avec lui.’J’étais transporté physiquement, émotionnellement et intellectuellement par le langage. » Il a appris énormément de Milton. Quand il a commencé à rédiger A la Croisée des Mondes (dont le titre original provient de Milton), il a réalisé peu de temps après qu’il racontait en fait la même histoire. « Mais je ne me suis pas dit d’une part, « Eh, merde, je raconte la même histoire’, ou, d’autre part, ‘Oh, super, je peux copier alors.’ Je me suis juste rendu compte qu’à sa façon, Milton avait travaillé sur le même thème. Et qu’il y a bien longtemps, l’auteur originel du livre de la Genèse avait aussi travaillé sur la même histoire.»





Plusieurs fois, Pullman m’a rappelé qu’un travail de fiction n’est pas un débat. Peut-être est-il certain de dire que dans A la Croisée des Mondes, il a bâtit son propre monde imaginaire pour ne pas avoir à se soumettre à celui de quelqu’un d’autre. Il aime citer les mots de William Blake : « Je dois créer un monde, ou me soumettre à celui d’un autre homme. »


Son histoire est la rivale de récits précédents publiés par deux écrivains d’Oxford, Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien et Les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis. Pullman déteste la façon dont les enfants de Narnia sont tués, dans un accident de voiture (sic). « Je n’aime pas les livres de Narnia à cause de la solution qu’il offre aux grandes questions de l’existence humaine : il y-a-t-il un Dieu, quel est le but, toutes ces choses dans lesquelles il s’engage vraiment profondément, contrairement à Tolkien, qui ne touche à rien de tout ça. Le Seigneur des Anneaux est essentiellement futile. Narnia est essentiellement profond, bien que je n’aime pas la réponse offerte par Lewis. A choisir, je débattrais sur Narnia. Tolkien n’en vaut pas la peine.


Pullman aime débattre ; après tout, Bernard Shaw est un de ses auteurs préférés. Il fixe des limites aux discutions avec les fondamentalistes. « Vous ne pouvez pas dialoguer avec les gens qui ont réponse à tout. » Sa retenue, quelques fois pédagogique, permet des remarques bien équilibrées et rationnelles (qu’il a sans aucun doute faites auparavant), dissimule une nature passionnée et combative. Pendant qu’il débarrasse notre déjeuner dans la cuisine – des bols d’une soupe au poulet Thaï et une assiette d’un fromage qui empeste – il parle d’un jeune directeur frimeur de la télé qui raté l’adaptation d’une de ses histoires. Alors que Pullman énumère ensuite un exemple après l’autre de la nullité du réalisateur, ses mains resserrent sur la table et son visage vire au rouge : il est violent et arrogant.


D’après Pullman, il existe une moralité au bel art. Lorsqu’il était jeune, il écrivait des vers et étudiait chaque forme poétique qu’il pouvait – rondeau, villanelle, sonnets et sestine, plus c’était compliqué, mieux c’était. Il croit que si vous êtes apte à reconnaître le rythme et la cadence en poésie, alors vous pouvez en faire autant en prose. Il n’est pas difficile de le voir étendre ce principe du bel art de manière plus générale. Un mauvais politicien est quelqu’un qui essaye d’aller au-delà de ses capacités, sans comprendre comment les sociétés sont bâties, et qui fout tout parterre.


Après la soupe et le fromage, il retourne à son fauteuil dans le bureau et sa colère monte encore plus lorsque notre discussion sur les changements climatiques (« sans conteste le problème le plus important de notre époque »), nous amène à la guerre contre le terrorisme et à l’Irak. Il dit que George Bush est un « criminel de moralité », et que Tony Blair « a vraiment de quoi s’excuser, bien qu’il ne le fera jamais. Conforté dans son autosatisfaction, il n’admettra jamais, même pas envers lui-même que l’invasion de l’Irak était une horrible erreur. Une terrible, terrible erreur. » Pullman éprouve un mépris particulier envers les slogans. Il affirme que « la guerre contre le terrorisme » est « une phrase complètement idiote. Une phrase ridiculement stupide. Personne n’aurait jamais dû l’employer. Il est évident qu’aucun politicien britannique n’aurait jamais dû la répéter. »


Pullman préfère s’impliquer en politique à un niveau local, en rejoignant une compagne destinée à sauver un chantier naval local d’un développement peu judicieux. Dans son bureau, il y a une maquette d’un bateau en bois qu’il construit. En tant qu’artisan, me fait-il remarquer,
Il est un menuisier (et pas un charpentier) ; en tant que citoyen, il s’implique rarement dans quelque chose. « Je ne suis pas un activiste, » dit-il, « Je suis un passif-iste. » Mais il est de plus en plus assiégé par ses admirateurs, recevant un nombre incalculable d’invitations « pour ouvrir une conférence, parler à un festival, écrire un article, rejoindre une campagne ».
Le plus troublant, c’est l’ampleur du courrier de ses fans. Il a des centaines d’e-mails et de lettres. « C’est une grande source de… » Il cherche ses mots pendant un moment. « Ça vous fait soupirer. Soit vous ignorez ces lettres, et vous vous sentez mal et coupable de faire cela, soit vous prenez la peine et le temps d’y répondre. Et alors, vous regrettez le temps que vous ne passez pas sur votre travail. » Il avait pris l’habitude de répondre à toutes. Certains écrivains conversent des piles de lettres non lues sur un coin de leur bureau, mais il craint de se retrouver à l’autre bout du spectre. « L’autre moyen de résoudre cela est celui de Margaret Mitchell, celle qui a écrit Autant en emporte le vent. Elle a passé le restant de ses jours à répondre aux lettres.


Le grand-père de Pullman était un pasteur anglican, qui pouvait également raconter une histoire à partir d’un événement insignifiant. Il y-a-t’il eu une époque où Pullman croyait aux histoires que son grand-père lui racontait sur Dieu ?



« Quand j’étais petit, je croyais implicitement tout ce que mon grand-père me racontait. C’était papy, il savait tout. »


Ressent-il un sentiment de perte à présent ?


« De perte ? »


Ou un sentiment d’absence ?


« De perte parce que certaines choses auxquelles je croyais se sont envolées ? Je ne pense vraiment pas. Je pense que c’est un bénéfice. C’est l’acquisition d’une perspective plus large.
Ça reviendrait à dire : est-ce que vous vous sentez plus triste en apprenant que la Terre n’est plus plate? Non, en fait, je me sens plutôt mieux en sachant que la Terre est ronde. C’est beaucoup plus intéressant. »



(Robert Butler est un auteur pour le théâtre et un collaborateur régulier du magazine Intelligent Life. Il blogue sur les arts et l’environnement sur ashdenizen.blogspot.com)






Traduit pour Cittagazze par Soldat Bleu. Merci à lui.




Détails
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Jeudi 31 Juillet 2008 - 19:52:38
Haku
Source : http://www.moreintelligentlife.com
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