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Cerises et chaussettes rouges :.
Jeudi 24 Juin 2010 - 16:23:29 par Haku - Détails - article lu 40404 fois -

Cerises et chaussettes rouges





C’est une scène aussi improbable qu’inattendue. Le protagoniste est assis sur des marches qui dominent un carré d’herbe verte au beau milieu du parc de Bercy à Paris. Des cerises écarlates fichées aux oreilles répondent à ses chaussettes intégralement rouges tranchant avec son pantalon de toile. D’une voix assurée au léger accent, il déclame en vieil anglais une ballade écossaise qui laisse pantois et sans voix un auditoire d’une vingtaine de membres. Notre protagoniste se nomme Philip Pullman et il est présent à Paris dans le cadre d’un festival anglophone. C’est un conteur né et il peut mettre dans sa poche un auditoire en quelques instants. Et même s’il s’exprime face à un public acquis d’avance, puisque composé des membres de Cittàgazze.com, ses chaussettes rouges n’en restent pas moins hallucinantes.


19 JUIN 2010, PARIS.
Pour la sixième année consécutive, les membres de Cittàgazze se sont retrouvés à l’occasion du solstice d’été. Cette année, pour coïncider avec un week-end, le 21 juin s’est finalement tenu le 19, mais ceci est finalement bien secondaire, puisque de toute façon le meeting se tenait assis dans l’herbe d’un parc de Paris et non sur le banc d’un jardin d’Oxford. Et si ce meeting était un peu particulier, c’est que cette année un invité de marque nous avait fait l’honneur de sa présence : Philip Pullman en personne. La date de notre meeting coïncidait en effet avec le Shakespeare&Co Festival, tenu à deux pas de Notre-Dame. Philip Pullman, qui y participait, a généreusement accepté de nous consacrer une heure et demie avant de s’y rendre.


L’auteur de la trilogie A la Croisée des mondes nous a retrouvé comme convenu vers midi, à deux pas du Palais Omnisport de Paris-Bercy, précédé de notre administrateur Nef conduisant une poussette occupée par un petit blondinet tout souriant. « Je ne suis pas le père » précisera-t-il plus tard à l’adresse de Philip Pullman ; tout le monde ayant par ailleurs reconnu dans la petite frimousse de la poussette le fils de notre compère Rey.


Après une petite révérence et des présentations, Philip Pullman, accompagnée d’Emma Vandore, bénévole auprès du Shakespeare&Co Festival, nous suit finalement dans les dédales du parc Yitzhak Rabin pour trouver le coin d’herbe fraîche qui nous permettra d’étendre notre nappe et étaler nos victuailles. En chemin, Philip Pullman et Emma Vandore se renseignent un peu, demandent d’où nous venons. Munich, Lyon, Lorient, St-Etienne, un petit tour de France (voire plus) se dessine. Emma parle du festival, Philip Pullman retrace les derniers jours qu’il a passé à Paris alors que nous passons la passerelle au fond du parc.


Quand le lieu du pique-nique est arrêté, on sent une hésitation planer chez nos deux invités lorsque les nappes se déroulent et que les premiers membres s’assoient à même le sol. Prudemment, l’un et l’autre élisent domicile face à nous, sur les marches en briques toutes proches. Philip Pullman réajuste son magnifique chapeau de pêche bleu ciel et dévoile ses chaussettes rouges en prenant place. Leur couleur est idéalement assortie aux cerises qu'il accroche bientôt à ses oreilles...


En une heure et demie, bien des choses peuvent être discutées, mais là n’était pas le seul intérêt du meeting. Avec sur l’herbe moult plats et collations, les ventres se régalent. Notre auteur anglais n’est pas en reste : outre l'imposant stock des cerises déjà évoquées, il teste le cake au maroual, s’avère amateur gourmand de légumes crus et de guacamole, et découvre aussi l’incontournable tarte aux tomates de notre amie Ewie : «C’est délicieux. Je suis sûr qu’il pourrait y avoir une histoire dans le livre au sujet de Lyra qui apprend à la faire». Les crêpes au chocolat viennent ponctuer les réponses, le cidre normand est débouché après moult manipulations, et Emma s’intéresse pour sa part à la composition des atypiques sodas consommés simultanément.


De crudités en tartes et de cakes en muffins, on en vient à évoquer la bande dessinée. Dire que Pullman aime ce média n’est pas vraiment une nouveauté. Petit, il lisait Superman et Batman et en incarnait les héros avec ses camarades. Adulte, il n’a pas renié ces plaisirs, et si les BDs « n’ont pu égaler pour l’heure, Dostoïevski, elles finiront par le faire », note-t-il en évoquant Mouse, d’Art Spiegelman. Il croit d’ailleurs suffisamment en leur potentiel pour s’être lancé dans un projet nommé John Blake, une bande dessinée, avec pirates et batailles : «Je voulais quelque chose dans la veine de Tintin, style belge, avec des angles de vue belges».


Le projet initial de publication dans une revue hebdomadaire a finalement capoté l’an passé faute de financement, mais l’auteur n’a pas pour autant jeté l’ancre : «L’histoire est bouclée et j’ai à cette heure presque achevé sa reconversion en scénario pour un film » confirme-t-il. Alors forcément, on n’est pas complètement surpris de sa réponse ni d’une nouvelle référence à Tintin lorsqu’on lui demande s’il aimerait voir ses œuvres adaptées en BD : « J’aimerais beaucoup voir A la Croisée des Mondes, mais cela nécessiterait un artiste très doué, le meilleur possible : l’art du dessin, en BD, est très rare à mes yeux. Prenez Hergé : il avait cette capacité à dessiner 40 ou 50 personnages que nous pouvions reconnaître à coup sûr, peu importe leurs expressions ; c’est une chose presque impossible et pourtant il savait le faire. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres artistes qui puissent en faire autant. Hélas, Hergé n’est plus et il faudrait trouver un artiste assez doué pour cela ». Ce à quoi il ajoute rapidement « et aussi quelqu’un pour adapter et écrire l’histoire, car je ne peux le faire moi-même ».


Et puisque de l’image statique de la BD à celle animée il n’y a qu’un pas, nous en profitons pour aiguiller notre conversation sur Miyazaki, dont l’univers semble à nombre d’entre nous assez proche du sien. « C’est possible, laisse-t-il échapper deux mots en français. Ce que j’aime chez Miyazaki est qu’il dessine à la main. J’attends aussi avec grand intérêt L’Illusionniste, le nouveau film de Sylvain Chomet ».


A propos d’animation, nous revenons également sur les rumeurs d’adaptation d’un de ses romans par Henry Selick, réalisateur de L’Etrange Noël de Mr Jack. Philip Pullman confirme que le réalisateur est bien venu le voir : « On a dîné ensemble l’an passé, pour parler non pas du Comte Karlstein, mais de La Mécanique du Diable. J’espère qu’Henry Selick pourra le faire, c’est le film idéal pour lui. Il reviendra me voir quand il sera prêt : ce n’est pas encore officiel, les contrats n’existent pas, mais quand le script sera prêt, le film entrera en production ». Et quand on saisit la perche au vol en souhaitant à ce projet plus de chance que La Boussole d’Or, Philip Pullman lâche un long soupir : « Je l’espère ! Ce que je regrette le plus avec La Boussole d’Or, c’est que l’on ait jamais vu l’histoire complète du livre. Ils l’ont filmée, et il existe de magnifiques scènes entre Daniel Craig et Dakota Blue Richards ; notamment quand elle prend le dessus sur lui, sur cet homme puissant, lorsqu’elle lui dit ce qu’il a à faire. C’est une scène magnifique que l’on n’a pas pu voir. Si jamais, un jour, il devait y avoir une director’s cut, peut-être le pourra-t-on… »




Quelques parts de gâteaux, et la frustration est – provisoirement – évacuée. Pour se remettre de nos regrets réciproques, nous parlons donc livres. Comme toujours, Philip Pullman a beaucoup de projets. Le Livre de la Poussière se porte bien, merci pour lui : il mesure à peu près trois centimètres d’épaisseur à ce jour, et prendra encore de la consistance dès que John Blake verra son script achevé. Nous n’avons pas pris le risque de demander la date de sortie : depuis presque dix ans, le livre est prévu pour dans deux ans, donc la réponse était connue. Néanmoins, l’univers d’A la Croisée des mondes a encore de beaux jours devant lui. Interrogé sur les éventuels personnages qui mériteraient un nouvel opus, à l’image d’Il était une fois dans le Nord pour Lee, Pullman évoque tour à tour les Gitans et les Sorcière comme sources inépuisables d’histoires. Il en profite aussi pour réitérer une promesse : après le petit livre rouge de Lyra (rien à voir avec Mao) et le petit livre bleu de Lee, un jour viendra un petit livre vert consacré à Will. Cela dit, « il viendra en dernier. Je pourrais encore raconter longtemps des histoires sur ce monde, et ne rien faire d’autre. Il y a assez d’histoires ici, dit-il en montrant sa tête, mais il y a aussi d’autres choses que je souhaite faire ».

Parmi ces autres choses, les contes populaires tiennent une place particulière. Si par le passé Philip Pullman a déjà repris à son compte (conte ?) Aladin ou Mossycoat, il prépare désormais une sélection de contes des frères Grimm : « Penguin Classics possède des recueils de contes populaires qui ne sont plus disponibles depuis des années, et ils veulent en ressortir. Ainsi, je suis celui qui va les sélectionner. Je vais en réécrire et aussi en améliorer certains, car parfois, ils pourraient être meilleurs. C’est inutile pour la plupart d’entre eux, mais j’ai trouvé des histoires qui ont un bon début, une bonne fin, mais qui pourraient donner un meilleur ensemble. Italo Calvino, avec sa sélection de contes populaires italiens – je ne sais pas si vous les connaissez, c’est une collection fabuleuse de contes italiens rassemblés par Italo Calvino – n’a pas publié ces derniers tels quels, mais il les a réunis, les a augmenté, les a partiellement modifiés. Et je pense que c’est parfaitement acceptable, qu’on a le droit de le faire, affirme-t-il, trois heures avant de réitérer de tels propos au Festival Skakespeare&Co, argumentant qu’en absence d’auteur défini, les contes populaires appartiennent à tout le monde. Je vais donc passer en revue environ 70 ou 75 contes des frères Grimm et les publier avec mes annotations, et avec un essai sur les contes populaires, mais aussi sur les ballades ». A la suite de quoi, sans crier gare, il se met à égrener d’une voix puissante et captivante la première moitié de la ballade Sir Patrick Spens, une histoire de « trahison, de mort, de meurtre, et de tous ces trucs sympas ». En l’espace de quelques vers, le silence tombe. Lorsqu’il suspend ses mots, on entend les mouches voler. Les cerises toujours accrochées à ses oreilles, l’air de rien, il a fait son petit effet. « J’adore ces histoires, leur rythme enlevé, leur émotion, leur légèreté ».


Mais s’il aime jouer avec les mots, s’il captive son public en le temps de réciter quelques mots en vieil anglais, il sait aussi se montrer très direct. A ce conteur né, qui n’a jamais cessé de promouvoir l’importance des histoires et de la narration, on fait remarquer le nombre incalculable de moments où, dans ses livres, un personnage en vient à raconter une histoire (Lyra dans le Monde des Morts, Jack se jouant des brigands dans L’Epouvantail et son Valet, etc…) et que, dans La Mécanique du Diable, il se montre extrêmement dur dans son jugement de Fritz. Le conteur mal inspiré meurt pour avoir été incapable de finir son histoire. « C’est une question de morale » tranche-t-il sans laisser de place à la discussion, mais en soulignant que cette question de la narration, toujours elle, est aussi au cœur de son dernier roman, The Good Man Jesus and the Scoundrel Christ.

La discussion arrive alors dans sa dernière phase, évoquant l’accueil assez partagé du livre aux États-Unis entre critiques de gauche globalement bienveillantes et les factions fondamentalistes de droite plutôt hostiles. Aux côtés de l’auteur, Emma, l’attachée de presse du festival lui demande s’il cherchait par le titre de son ouvrage à provoquer une réaction bien particulière. Philip Pullman récuse avec un calme absolu et d’apparence sincère : «Non, pas du tout. Je ne compte pas provoquer telle ou telle réaction. Je m’efforce juste de raconter une histoire aussi clairement que possible », se dédouane-t-il, avant de suspendre subitement sa parole, semblant réaliser qu’il n’est pas encore sur l’estrade du festival et qu’un micro l’enregistre. « Mais de quoi parle-t-on ! Je pensais parler de cela plus tard ! »

Finalement, quatre-vingt dix minutes ont passé. Au cours de celles-ci, le petit Pacôme a cru trouver en Philip Pullman un nouveau grand-père. Au cours de celles-ci, la fameuse tarte aux tomates d’Ewie a été engloutie après avoir déchaîné les passions et vu sa recette convoitée par Philip Pullman en personne. Au cours de celles-ci, de multiples petites infos ont filtré, et les oreilles et les yeux n’ont rien perdu du spectacle. Au cours de celles-ci, Sir Patrick Spens a imposé silence et admiration. Finalement, donc, après quatre-vingt dix minutes, Philip Pullman se défait de son étrange chapeau bleu pour nous remercier de l’invitation, des victuailles partagées, et prendre congé… Mais il restait à lui soumettre notre cadeau, qui prenait la forme d’un exemplaire des Royaumes du Nord. La seule vue de ce volume a poussé l’auteur à sortir dans un réflexe presque pavlovien son stylo pour une séance improvisée de dédicaces. Le livre en question était pourtant déjà signé par ses lecteurs reconnaissants. « C’est un changement heureux, merci beaucoup. Je vais le garder », a-t-il visiblement apprécié.

En ce samedi après-midi, au cours d’un week-end perdu au beau milieu des épreuves du baccalauréat, vingt jeunes se sont soudainement regroupés pour poser en rangs autour d’un homme à la silhouette grisonnante, tels des élèves autour d’un professeur. Sauf que les professeurs ne portent généralement ni de chaussettes rouges ni de cerises aux oreilles. Ou alors ce sont d’anciens professeurs et les jeunes ne sont pas tout à fait leurs élèves.





Cittàgazze aimerait remercier Philip Pullman et Emma Vandore ainsi que le Shakespeare&Co Festival pour avoir rendu cette rencontre possible. Les photos illustrant cet article ont été prises par Anne-Emmanuelle Lagny, Emma Vandore et Jonas Dutouquet.


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Haku
Source : Cittàgazze.com
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