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Interview avec Philip Pullman (2004) :.
Mardi 25 Mai 2010 - 21:14:02 par Haku - Détails - article lu 2205 fois -

Interview avec Philip Pullman (2004)


Par Tony Watkins
J’ai interviewé Philip Pullman en 2004, avant de commencer à travailler sur mon livre, Dark Matter : A Thinking Fan’s Guide. C’était une expérience intéressante, en partie parce que j’ai eu des problèmes de voiture sur la route et suis arrivé un peu agité. Quand j’y repense, je ne m’y suis pas pris si bien que cela sur certains aspects. Pour être honnête, j’imagine que j’étais un peu intimidé. Quoi qu’il en soit, la voilà, pour ce que ça vaut (elle se trouve aussi sur le site de Culturewatch depuis 2004). Avec l’annonce aujourd’hui de son prochain livre, The Good Man Jesus and the Scoundrel Christ, cela semblait être un bon moment pour la reposter ici.

Philip Pullman :
Il y a environ dix ans, j’ai commencé à m’intéresser au développement de ces espèces de groupes chrétiens chez moi. Je voulais savoir comment ils fonctionnaient, ce qu’ils faisaient, ce qui les motivait, et ainsi de suite. J’ai découvert qu’un groupe se réunissait régulièrement dans un des cinémas d’Oxford et qu’ils avaient un bureau sur Cornmarket Street à Oxford, au-dessus d’un bureau de paris. Donc j’y suis allé, j’ai frappé à la porte et j’ai dit que j’étais intéressé. C’était très curieux de leur parler, de parler à l’homme qui les dirigeait. Mais c’était plus curieux encore d’aller à la réunion, un dimanche, dans cet énorme cinéma de Broad Street, parce qu’il y avait un groupe assez important de personnes qui étaient toutes profondément liées les unes aux autres par des espèces de réseaux de camaraderie et d’entraide : « Untel et untel viennent d’avoir un bébé… comment peut-on les aider ? » « Untel et untel se sont proposés pour le garder ». Toujours ce genre de choses. Tout était fait à deux : Bob et Shirley, Tom et Mary, comme s’ils n’avaient pas d’existence individuelle mais seulement une existence conjointe. Bien sûr, ils avaient leur propre école, qu’ils appelaient the King’s School (NdT : l’école du Roi) .

Il me semblait qu’il s’agissait en fait d’une sorte d’État-providence secret, invisible pour la majorité de la population, en tout cas invisible pour moi auparavant. C’était étrange, parce que si l’on avait un problème, il y avait tout de suite dix, vingt personnes, des tas de gens prêts à aider, et qui en avaient très envie. Cela pouvait aller de faire du babysitting jusqu’à s’occuper d’un parent mourant. Tous ces gens étaient là, prêts à mettre la main à la poche, à aider, etc. Ce qui était très bien et très agréable. Mais en même temps, ils aimaient parler d’une manière inintelligible, d’un air assez emprunté. C’était très bizarre : ils avaient cet office religieux très organisé qui durait environ trois heures. Il était bien organisé parce qu’il semblait très détendu et informel, et si on était ému par l’Esprit, on allait devant les autres et on disait quelque chose : « J’ai une bonne nouvelle : untel et untel on eu un bébé. N’est-ce pas merveilleux ? Bien joué tout le monde ». Mais on sentait que tout était contrôlé, il y avait des moments d’enthousiasme et d’intensité émotionnelle, puis à nouveau des bonnes nouvelles, et ainsi de suite.

Derrière tout ça, il y avait une instance de contrôle. Une fois, pendant un des moments intenses, il y avait trois ou quatre personnes devant qui priaient plus ou moins. L’un d’eux a commencé à raconter du charabia et je me suis dit « C’est pas vrai, il est devenu fou. Ah non, il parle sa langue incompréhensible ». Et ce qui était intéressant (parce que je n’avais jamais vu ça, et à mon avis c’est une mascarade), c’est que dès que les autres l’ont vu, ils se sont mis, en le regardant du coin de l’œil, à parler eux-mêmes d’une façon inintelligible, ou du moins à le faire croire, parce que si le premier était sous l’emprise de quelque esprit étrange (c’était peut-être le cas), les autres, eux, ne l’étaient pas. Ils l’imitaient pour participer à ce qu’il faisait. Donc c’était curieux : ces personnes rendaient toutes sortes de services, dans un but social, mais elles se comportaient (à ce qu’il me semblait) d’une façon complètement mensongère à ce moment-là. Je n’arrivais pas à saisir pourquoi. Ça m’intéressait parce que je voulais écrire une histoire, un roman avec un arrière-plan de ce style, mais rien n’en est sorti. C’est une expérience qui est présente, mais n’a jamais été utilisée.

Tony Watkins : Gardée en mémoire, pour un usage futur ?

PP : Oui. Bref, ces personnes, c’était évident, avaient des horizons très réduits. Ils ne lisaient que des livres chrétiens, ils n’écoutaient que de la musique chrétienne ; ils ignoraient de quoi était fait le monde extérieur. Ils ne parlaient de rien d’autre que les missions chrétiennes en Afrique : leur intérêt pour le monde extérieur n’allait pas plus loin. Quand j’avais parlé au type, au-dessus du bureau de paris, il m’avait dit que la moindre de leurs attitudes était filtrée par plusieurs couches de ce qu’accepterait l’Église chrétienne, avant de parvenir à l’interlocuteur. À l’époque, il y avait des élections législatives, et les Verts organisaient un meeting. J’ai demandé au type : « Que pense votre église des questions écologiques, du parti des Verts, etc. ?

-Ah, m’a-t-il dit. Très intéressant. Content que vous me posiez la question. Avez-vous vu l’émission politique faite au nom du parti des Verts l’autre soir ? » Je lui ai dit qu’il me semblait que oui. « Parce que ce qui était intéressant, c’est qu’il a demandé à tout le monde de croire, de garder le silence, et a laissé parler l’esprit. Mais si on n’invite pas Jésus à venir en vous, quelqu’un d’autre le fera. Ces gens travaillent pour le Diable. »

Vous voyez, dans ma naïveté, je m’attendais à une réponse du style : « Que pensez-vous des questions écologiques ? » « Eh bien, l’Église nous enseigne que nous sommes les intendants du monde, que Dieu nous a placés dans le monde pour en prendre soin, c’est notre responsabilité, etc. » Mais pas du tout. J’ai trouvé ça un peu bizarre. Mais bref, vous ne venez sans doute pas du tout du même milieu.

TW : Non. Je viens d’une église évangélique qui n’est pas très charismatique, mais j’ai passé un an dans une église du même genre après avoir quitté l’école, et on s’occupait très bien de moi. L’église à laquelle j’appartiens prend la Bible très au sérieux. Nous croyons que la Bible est la façon qu’a Dieu de communiquer avec nous, c’est donc le critère déterminant pour nous. Mais la vie dans le monde extérieur est importante et nous tenons à lier les deux. Parce que si nous sommes, comme je le pense, créés à l’image de Dieu, et que la culture est en fin de compte l’invention de Dieu, alors toute la vie doit être liée à la religion : y compris les livres que je lis, etc.

PP : J’aimerais vous poser quelques questions à ce propos.

TW : C’est moi qui suis censé vous interviewer.

PP : Nous y reviendrons dans une minute. Si chacune de nos actions est le résultat de la volonté divine, qu’en est-il du nazisme et de l’extermination des Juifs ? C’est ça, la volonté divine ?

TW : C’est vrai que c’est l’une des questions les plus difficiles. Le problème de la souffrance en général est la question la plus difficile, quel que soit le point de vue.

PP : Parce que si tout ce que nous faisons, nous le faisons parce que nous sommes les enfants de Dieu, et parce que nous sommes créés à l’image de Dieu, et donc que nos actions et notre culture est en réalité l’œuvre de la volonté divine…

TW : Ce n’est pas exactement ce que je dis. La culture est en fin de compte l’invention de Dieu. Dieu est à l’origine de la culture, mais les humains se rebellent contre Dieu, et c’est pour quoi nous la détournons pour servir nos propres intérêts. De toute évidence, la grande majorité des gens, quelle que soit leur religion, ne cherchent pas consciemment à servir la volonté de Dieu dans leurs vies, dans leurs actions, etc. Donc je ne dirais pas que le nazisme et l’extermination des Juifs étaient le fait de quelqu’un qui pensait servir la volonté de Dieu. Hitler était plutôt nietzschéen, si je ne me trompe, il avait une philosophie spirituelle, mais à l’origine il était nietzschéen. Le pourquoi de ces choses, c’est une question de tueur. Je crois que Dieu nous a donné la liberté, et que c’est une chose dangereuse. La liberté est à la fois fabuleuse et dangereuse.

PP : Selon la Bible, Dieu ne nous a pas donné la liberté, nous l’avons prise. C’était la première désobéissance de l’homme.

TW : Certes, mais avant cela, il existait une liberté sincère.

PP : Vraiment ? Il me semblait qu’il avait dit « Ne mange pas cela… »

TW : Tu es libre de manger les fruits de tous les arbres du jardin. Tu es libre de faire ce que tu veux. Il y avait une restriction, seulement une. Et c’est précisément ce qu’ils ont décidé de faire. Donc oui, il y avait une restriction : ce n’était pas une liberté absolue mais elle était sincère.

PP : Je ne vois pas les choses de cette manière. Je vois cette histoire comme la rébellion d’animaux domestiques qui ne veulent plus en être et qui veulent avoir des responsabilités. J’allais vous poser une autre question : dans quelle mesure la Bible est-elle métaphorique ? En d’autres termes, jusqu’à quel point peut-on la prendre à la lettre ?

TW : Ça dépend quel passage…

PP : Par exemple, la création a-t-elle eu lieu en six jours ?

TW : Bien sûr, vous posez d’abord la question du genre. La Bible est remplie de genres différents, et ils doivent donc être interprétés de manières différentes…

PP : Voilà déjà quelque chose que les gens du cinéma ne reconnaissaient pas.

TW : Le premier chapitre de la Genèse est très compliqué, parce qu’il est écrit dans un style unique d’hébreu. On ne peut même pas déterminer avec certitude s’il s’agit de prose ou de poésie. On dirait que le passage est à mi-chemin entre les deux et on n’a rien pour le comparer. Donc il me semble qu’une fois arrivé au vers 4 du deuxième chapitre de la Genèse, « Voici les origines des cieux et de la terre… », on a cette expression « voici les origines » qui apparaît dix fois dans le reste de la Genèse, en deux parties. La première partie se termine à la fin du chapitre 11, juste avant le début de l’histoire d’Abraham. Dans chaque partie, on a une grande histoire, puis une petite histoire (souvent une généalogie), puis une grande, une petite, et enfin une grande. Le premier chapitre de la Genèse est très différent de cela : c’est très structuré, mais ce n’est pas vraiment de la poésie. Vous devez savoir que les nombres sont très importants pour les Hébreux et que certaines phrases se répètent généralement par multiples de sept. Pendant les six jours (le septième est dans le chapitre 2), il y a deux parties. Les trois premiers jours, il y a les ténèbres et la lumière, la mer et le ciel, et la terre. Puis, dans les trois jours suivants, il y a les étoiles pour remplir l’espace, si vous voulez ; les oiseaux et les poissons pour remplir la mer et le ciel ; les animaux pour peupler la terre. Il me semble que ce genre de structure très littéraire a une intention d’abord théologique, et pas de nous donner des repères temporels : il serait impropre de parler de « tract » mais disons un traité théologique adressé aux premiers peuples d’Israël, pour leur faire comprendre la place qu’ils occupaient vis-à-vis de Dieu, en opposition à d’autres récits de création comme ceux des Babyloniens ou des Égyptiens, sachant que certains d’entre eux voyaient sept comme un chiffre qui porte malheur (c’était l’équivalent du treize pour les Babyloniens). Donc là, on se base sur un principe de sept jours et Dieu instaure le principe du repos le septième jour. Mais je pense que c’est une structure littéraire. Ensuite, bien sûr, cela se complique une fois dans les chapitres 2 et 3, avec ces choses étranges, le serpent qui parle, l’arbre de la vie, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, qui sonnent davantage comme des éléments apocalyptiques que l’on attendrait dans la Révélation. Et pourtant, du fait de l’expression « Voici les origines » qui parsème le reste du livre de la Genèse, où elle doit être entendu comme historique, à mon avis, je pense qu’il y a une portée historique de la Genèse à partir du vers 4 du chapitre 2. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que ça veut dire. Mais je crois qu’Adam et Ève étaient des personnages historiques : c’est comme cela que les voyait Jésus, et j’y crois.

PP : Jésus pensait aussi que la Terre était plate.

TW : Pourquoi Jésus pensait-il que la Terre était plate ?

PP : C’est ce que tout le monde pensait à l’époque.

TW : Oui, bien sûr. Quand les Grecs ont-ils compris que la Terre était ronde ? C’est vrai, c’est une bonne question de savoir si Jésus pensait que la Terre était plate ou non.

PP : Si tu avais demandé au Palestinien moyen, il t’aurait répondu qu’elle était plate.

TW : Oui, mais je ne pense pas que Jésus aurait répondu comme eux. Je pense qu’il avait un peu plus de connaissances, mais laissons cela de côté pour le moment. Ce que je soupçonne (et ce n’est qu’un soupçon, car les questions sur ce point sont vraiment très difficiles), c’est que le point de vue que l’on a sur ces premiers chapitres de la Genèse dépend, dans une certaine mesure, des questions difficiles avec lesquelles on accepte de vivre sans connaître leur réponse. Adam aurait pu être, si vous voulez, le chef de l’humanité avec un degré spécial de responsabilité. Mais je pense vraiment qu’il était un personnage historique.

PP : Croyez-vous que la terre a six mille ans ?

TW : Non.

PP : Donc les études sur les fossiles sont correctes ?

TW : Je pense. De toute évidence, les études sur les fossiles posent des questions…

PP : Oui, les études posent certains problèmes, mais de manière générale elles sont justes…

TW : Certains mécanismes de datation sont utilisés pour être mis en corrélation avec les autres mécanismes de datation que l’on utilise en premier lieu. J’ai fait des études de physique, donc j’y ai pas mal réfléchi, parce que c’est une question qui m’intéresse beaucoup. Mais des Chrétiens, tout au long de l’histoire, ont eu l’une des cinq interprétations de base des premiers chapitres de la Genèse : ces gens essaient vraiment de rendre justice au texte et disent « Oui, nous croyons que c’est la parole de Dieu qui nous est adressée » ; mais ils ont différentes manières de le comprendre, depuis la position selon laquelle la Terre est jeune, représentée par l’archevêque Ussher, qui avait de bons côtés, mais a un peu exagéré en essayant de dater la création de la Terre 9h du matin, le 27 octobre 4004 avant J-C. Il a fait en sorte que ses calculs servent ses intérêts particuliers ce qui, selon moi, est intenable. En ce qui me concerne, j’accepte avec plaisir la possibilité des repères temporels et des mécanismes de l’évolution darwinienne, jusqu’à un certain point. Les mécanismes de l’évolution darwinienne posent de grandes questions, mais à mon avis, il n’y a pas grand doute qu’un tel processus ait pu se produire ou non. La différence entre Richard Dawkins et moi n’est pas de savoir si le mécanisme a existé ou non, mais s’il avait un sens.

PP : Avez-vous entendu parler de John Polkinghorne ?

TW : Oui, il a une expression merveilleuse : « Dieu est le garant de l’équation de Schrödinger » : un problème mathématique que j’ai dû affronter pour mon diplôme physique, c’est de la physique quantique.

PP : Celui avec le chat ?

TW : Oui, c’est l’homme de l’expérience du chat.

PP : Chat + boîte = mystère.

TW : Oui, c’est comme cela que j’aurais dû l’expliquer pour mon examen ! Mais je n’aurais peut-être pas eu la même note.

PP : Donc Dieu garantit cela ?

TW : Oui, ce qu’il dit, c’est que la façon dont le monde fonctionne exprime le caractère de Dieu. Ce n’est pas tant le fait que Dieu ait nécessairement créé le monde en six jours de création instantanée, mais le processus complet fonctionne parce que Dieu est derrière et le sous-tend…

PP : Eh bien, vous voyez, c’est l’exemple parfait de ce que j’appelle maintenant des épicycles. Vous vous souvenez que la difficulté avec l’univers ptolémaïque était que l’observation ne s’accordait pas vraiment avec la supposition que les objets tournaient en des cercles parfaits : parfois ils allaient vite, parfois lentement, parfois on avait l’impression qu’ils reculaient un peu. Cela a coûté beaucoup de réflexions ardues à beaucoup de gens intelligents, mais ils ont fini par se dire : « Supposons qu’ils tournent en cercles parfaits par petites boucles, par épicycles, ça expliquerait tout. Super. » Et puis le temps est passé, des observations ont été prouvées et finalement, ça ne fonctionnait pas tout à fait. Donc ils se sont dit : « Et si on avait des épicycles autour des épicycles ? » Et Kepler est arrivé (c’était lui ?) ou Copernic, qui a dit : « Il suffit de changer un peu de point de vue. Imaginons que nous tournions autour du soleil, pas besoin d’épicycles, tout est clair ». C’est resté comme cela jusqu’à ce que quelqu’un d’autre se rende compte que nous réalisons des ellipses et non des cercles, et alors tout était parfaitement clair.

TW : C’était Kepler.

PP : Maintenant, cette idée de Dieu qui serait le garant de l’équation de Schrödinger, comme toutes les tentatives pour faire entrer Dieu en un lieu dont il est (apparemment) absent, qui, ce me semble, ont atteint des sommets avec la phrase de Simone Weil : « Dieu qui ne pouvait être présent que sous la forme d’absence ». Enfin, selon toute logique, cela n’a absolument aucun sens : comment une personne peut-elle être présente sous la forme d’absence ? Quelle connerie. C’est un épicycle. C’est une tentative, et une tentative ridicule, pour faire peser toutes les ressources d’un intellect profond sur quelque chose qui ne peut pas supporter un tel poids. Donc, c’est un épicycle. C’est une façon d’expliquer quelque chose. Alors que si on fait une espèce de saut copernicien et qu’au lieu d’essayer d’expliquer le fait que Dieu est partout mais qu’on ne peut pas le voir, on dit que Dieu n’est pas là, le besoin d’épicycles disparaît. C’est un cycle simple et sans à-coups. Si on retire Dieu, on n’a plus besoin d’épicycles.

TW : Mais c’est justement une question fondée sur la vision du monde, non ? Si on pense qu’il n’y a pas de Dieu, alors ce genre de raisonnement semble épicyclique. C’est une bonne analogie. Mais si au contraire on pense qu’un Dieu existe, et qu’on se demande comment il fonctionne, il me semble que…

PP : Dans ce cas, il faut sans cesse s’ajuster à de plus en plus de découvertes géologiques, à de plus en plus de développements dans la sphère morale, de manière à en arriver à voir que massacrer tout nos ennemis n’est pas le meilleur comportement avoir, même si c’est ce que Dieu semble dire. Vous voyez, il faudrait sans cesse s’ajuster, ajouter un autre épicycle pour que ceci puisse se relier à cela. Débarrassez-vous de Dieu et tout est plus clair et plus simple.

TW : Non, je ne vois vraiment pas les choses comme ça.

PP : Je m’en doutais. Mais c’est comme ça que moi, je les vois.

TW : Je peux comprendre que ça apparaisse comme cela. Mais je pense que ça dépend complètement de la vision du monde que l’on a. Pour moi, il ne s’agit pas de faire des ajustements, mais plutôt : voici Dieu qui travaille d’une manière constante…

PP : Mais où est Dieu ? Vous dites : « Voilà Dieu » ; mais où est-il ? Il n’est pas !

TW : Partout.

PP : Non.

TW : Vous êtes catégorique sur le fait que Dieu n’est pas là. Mais vous avez dit quelquefois que vous étiez agnostique du fait de ce rayon de lumière aussi fin qu’un trou d’épingle dont vous parlez, et tout ce que vous savez c’est qu’il n’y a pas de preuve concrète de l’existence de Dieu.

PP : Bien sûr, dans le champ des choses que je ne connais pas (le champ des choses que je connais étant ce minuscule rayon de lumière), là-bas, dans les ténèbres, qui peut dire qu’il n’y a rien dont un agnostique ne soit certain ? Mais à chaque fois que quelqu’un parle de Dieu, la première question qui se présente à mon esprit, c’est : « Pourquoi mêlez-vous Dieu à tout cela ? Pourquoi en avez-vous besoin ? » Il n’y a pas de preuve de son existence, vous le faites donc pour une autre raison. Pourquoi avez-vous besoin, psychologiquement, de dire que Dieu est là, que Dieu est ici ? À quoi cela sert-il ? Je n’ai pas ce besoin.

TW : C’est très intéressant. En ce qui me concerne, je ne le ressens pas comme un besoin psychologique. Ça m’est d’abord venu de cette manière : « Je pense qu’il y a des preuves de l’existence de Dieu, sans doute dans quatre ou cinq domaines différents. D’abord, il existe un monde qui fonctionne grâce à des principes ordonnés. L’un des principes de base de la science est que le monde fonctionne d’une manière ordonnée. Il est donc raisonnable de faire une expérience ici à Oxford, et d’obtenir les mêmes résultats que pour cette expérience en Bolivie ou n’importe où ailleurs. Et il s’agit précisément d’un article de foi de la science…

PP : Mais n’est-il pas possible d’avoir des univers dans lesquelles les choses ne se produisent pas d’une manière ordonnée, et que le fait que nous sommes assis ici dans un univers ordonné signifie que parmi l’infini d’univers possible, il y en a forcément un dans lequel les choses se déroulent comme ceci ?

TW : Cet argument ne me satisfait pas du tout. Parce que… On va laisser ça un moment. On peut y revenir plus tard ?

PP : Je suis désolé, je fais tout rater. Je devrais répondre à vos questions plutôt que de poser les miennes.

TW : Il y a une création qui fonctionne de manière très ordonnée et est incroyablement bien équilibrée. Il est possible, comme le dit Martin Rees, l’Astronome Royal, dans Just Six Numbers, qu’il y ait de multiples univers et que nous ayons eu la chance d’être dans celui qui fonctionne. Mais il reconnaît tout de même que les équilibres sont si parfait que l’on est poussé vers l’une de ces trois conclusions : la première, que notre univers est le seul qui soit et qu’il se trouve qu’il a fonctionné ; c’est incroyable, mais nous avons eu de la chance. La seconde, c’est que si tout est équilibré de cette manière, c’est parce qu’il y a un démiurge derrière. Et la troisième, celle que vous suggérez, c’est que peut-être notre univers fonctionne quand d’autres ne fonctionnent pas. Et il dit qu’il ne veut pas envisager l’idée d’un démiurge, c’est pourquoi il se tourne vers celle des univers multiples. Mais il est assez honnête pour reconnaître que les deux hypothèses sont très difficiles : à un niveau ou à un autre, on ne peut les falsifier. On ne peut prouver la non-existence de Dieu, ni la non-existence d’autres univers ; mais on ne peut pas non plus prouver leurs existences. Ils requièrent de la foi.

PP : Ils requièrent de la foi dans une certaine mesure. Mais David Deutsch n’a-t-il pas démontré, à travers ses analyses de l’expérience de la double incision qu’il semble y avoir des preuves de l’existence d’univers multiples ?

TW : Je ne suis vraiment pas convaincu par cette analyse. L’avoir dit m’empêche depuis quelques années d’enseigner la physique, mais je ne suis vraiment pas convaincu. D’ailleurs, c’est sujet à controverse en ce moment dans le monde de la physique.

PP : Je sais.

TW : Certains pensent que David Deutsch est seul à dire ce qu’il dit ; mais d’autres non. C’est un gros problème. Je pense que le problème est d’ordre philosophique. S’il existe effectivement des univers séparés, alors cela n’a pas de sens de parler de connections entre eux : s’il y a des connections, les univers ne sont pas séparés ; ils sont un, et non multiples. Donc le problème n’est pas résolu. Même si l’on accepte l’idée qu’il existe de multiples univers, comme l’a dit Stephen Hawking dans Trous noirs et bébés univers… Dans son premier livre, il a l’air de dire « L’esprit de Dieu est qu’il n’y a pas de Dieu » ; si l’univers n’a ni commencement ni fin, que peut faire un créateur infiniment paresseux ? Mais dans Trous noirs et bébés univers il réfléchit un peu plus à ce genre de problèmes et dit : supposons que j’élabore ma propre théorie du tout, qu’est-ce qui fait un univers pour gouverner ces équations ? Pourquoi y a-t-il quelque chose ? « Qu’est-ce qui souffle du feu dans les équations ? Je ne connais pas la réponse à cela ».

PP : C’est la question de base : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? C’est une question insoluble.

TW : Et nous nous retrouvons tous les deux avec un mystère insoluble sur les bras. Vous dites : « Il n’y a pas de Dieu ». D’où vient la matière ? A-t-elle existé de toute éternité ? Il est assez maladroit de parler en ces termes. L’énergie a-t-elle existé de toute éternité ? Quelque chose a toujours été là : quelque chose ne peut pas sortir du néant. Même la théorie du Big Bang inflationniste où le quelque chose sort du rien commence avec un point zéro : une grande énergie est présente avant que quelque chose se produise. Mon problème insoluble, c’est : « D’où vient Dieu ? » Ce n’est pas une question que seuls les chrétiens se posent. Richard Dawkins aime souvent la poser. C’est une bonne question, mais il est impossible d’y répondre. S’il n’y a pas de Dieu, d’où vient la matière ? C’est une bonne question, mais il est impossible d’y répondre. Mon interprétation de Dieu comme un créateur explique l’existence de la matière. Si la matière ou l’énergie est la réalité de base, il y a nécessairement une raison psychologique pour inventer l’idée de Dieu.

PP : Je ne vois pas de grande difficulté. Il y a des arguments d’adaptation et d’évolution qui montrent qu’il était utile, ou avantageux, à un moment donné, d’inventer ce grand être parce qu’il aide la cohésion du psychisme humain. Donc je ne vois pas de difficulté à accepter cet argument.

TW : Je ne le trouve pas convaincant. Matt Ridley en parle dans ses livres, n’est-ce pas ?

PP : Croire en quelque chose ne le rend pas vrai.

TW : Et ne pas croire en quelque chose ne le rend pas faux.

PP : Absolument.

TW : La base psychologique de la croyance en Dieu a vraiment été popularisée par Freud. Mais Feuerbach et Schleiermacher, un théologien, avant lui, parlaient d’une espèce de besoin émotionnel de Dieu, et de la projection d’une figure paternelle sur un plan cosmique. Freud a pris cette idée et l’a développée. Dans une large mesure, il a été discrédité dans tous les domaines, sauf le théâtre et l’anglais. On le mentionne à peine dans les cours de psychologie parce qu’il a été scientifiquement discrédité.

PP : Oui. Vous voyez, ce que Freud a fait, c’était raconter une très bonne histoire. Le complexe d’Œdipe est un conte magnifique. C’est une histoire merveilleuse sur l’inconscient. Oh, un conte merveilleux.

TW : Mais ça ne correspond pas à la réalité.

PP : Exactement.

TW : C’est bien beau de dire que je désire une figure paternelle et que de ce fait je projette ce besoin sur un plan cosmique. Mais le problème avec ce genre d’arguments, c’est qu’on peut les retourner. Je désire inconsciemment qu’il n’y ait personne devant qui je suis, au bout du compte, responsable, et de ce fait je projette son absence sur un plan cosmique. Donc la question est dure. À mon avis, un autre facteur important pour croire en Dieu est le sentiment d’une expérience personnelle de Dieu. Oui, on peut se débarrasser de cette idée par un argument psychologique, mais j’ai le sentiment que quelque chose de profond m’est arrivé, que j’ai du mal à expliquer.

PP : Il est certain qu’il est impossible de contrer ou de disputer cet argument. Mais ce n’est bien sûr pas non plus une preuve conclusive.

TW : Ce n’est pas une preuve conclusive.

PP : C’est émotionnel.

TW : Ce ne peut être une preuve conclusive dans notre discussion. Ce peut être une preuve signifiante dans mon rapport à toute chose. Mais je pense qu’il est injuste de dire « Vous devez croire en Dieu parce j’ai fait son expérience. » Maintenant, le point sensible pour moi, c’est la personne de Jésus, et c’est une des questions que je voulais vous poser.

PP : D’accord, allez-y.

TW : Parce que Jésus est mentionné une fois, non, deux, dans À la croisée des mondes, par Mary Malone. Mais c’est dans la même conversation, son nom est prononcé deux fois. Je voulais en parler plus tard, mais puisque nous en sommes là je vais poser ma question maintenant. Vous avez dit une fois dans une des interviews que j’ai lu que, quand vous travailliez sur À la croisée des mondes, vous vous arrêtiez sans cesse pour écrire le mythe sous-jacent. Et j’étais intrigué par le fait que Jésus, sauf quand Mary Malone dit qu’elle lui a dévoué sa vie, est complètement laissé de côté. À mon avis, vous avez une place pour lui dans votre esprit, et j’aimerais vraiment savoir laquelle.

PP : Je peux vous fournir une copie du mythe, si vous voulez.

TW : Vraiment ? Ce serait super. Travaillez-vous encore sur Le Livre de la Poussière ?

PP : Je n’ai pas encore commencé, mais je le ferai. La place de Jésus dans mon mythe. Laissez-moi regarder sur mon ordinateur, je ne veux pas me tromper… Bon, je peux vous la résumer, mais il serait sans doute mieux que vous lisiez tout. Je commence avec la venue à l’existence du personnage que j’appelle l’Autorité, que je ne considère pas comme le créateur, mais simplement comme le premier être conscient. Je considère la matière comme étant potentiellement consciente. La matière aime la matière, c’est le commencement. La matière aime la matière, elle prend plaisir à se joindre à elle-même pour former des structures organisées. À un moment donné, quand l’organisation est suffisamment complexe, la matière commence à devenir consciente. Et quand la matière devient consciente d’elle-même et peut réfléchir sur elle-même, elle génère de la Poussière, vous voyez, et ainsi la Poussière devient vivante. À un moment donné, au commencement, un être a émergé de la Poussière, et c’était la première créature pensante. Celui que j’ai appelé l’Autorité. Parce que la matière aime la matière, aime former des molécules et se rassembler en structures, et ainsi de suite, il était inévitable qu’avec le temps d’autres êtres de Poussière émergent. Il leur a dit qu’il était le premier, qu’il les avait créés, et ils l’ont cru ; pourquoi ne l’auraient-il pas cru ? Et il leur a dit qu’ils devaient le vénérer, donc ils l’ont vénéré. Mais, à mesure que le temps est passé et que de nouveaux êtres sont nés, l’un d’entre eux s’avéra être plus sage que lui : d’ailleurs, l’Église, à ses débuts, et l’auteur du livre des Proverbes de l’Ancien Testament, connaissent sous le nom de savoir, Sophia. Celle-ci dit à l’être, qui à cette époque se faisait appeler Seigneur, Roi, Dieu, Père, Tout-Puissant : « Écoute, il serait mieux que tu dises la vérité. Je sais à quoi tu joues : tu n’es même pas notre créateur. Il vaut mieux que tu dises la vérité. Installons une forme de démocratie ici. » Bref, il en a résulté une rébellion, et elle a été chassé de… Cette histoire, c’est la révolte des anges. D’une certaine manière, nous avons ici un renversement des pôles de moralité, parce que les gentils sont les rebelles et le méchant est l’Autorité. Le temps passa, et partout, dans tous les univers (qui, dans ma conception, ont été séparés du fait du choc de la bataille ; ce n’est pas nécessaire, mais c’est une jolie image), parce que la matière aime la matière, les créatures évoluaient et se développaient de toutes sortes. Et les anges rebelles, sous l’impulsion de Sophia, décidèrent de se mettre secrètement à informer ces créatures de la manière d’obtenir une connaissance d’eux-mêmes. À certains, ils montrèrent l’arbre qui leur amènerait la Poussière, à d’autres ils enseignèrent des chansons qui feraient tomber la Poussière des étoiles, à d’autres encore ils offrirent une aide particulière appelée le dæmon, avec qui ils pouvaient parler et développer leur connaissance d’eux-mêmes. Dans chaque monde, ils trouvèrent la meilleure façon, et la façon la plus réelle, pour que ces créatures deviennent ce qu’ils pouvaient vraiment être et qu’ils se réjouissent dans la Poussière, qui était le véritable état de la matière de laquelle ils étaient faits. De toute évidence, l’histoire de Satan dans le Jardin d’Eden était en train de se dérouler. Bon, et puis le temps a passé, et l’Autorité a mis en place toutes sortes de répression, qui entraînaient plus de rébellions, et ainsi de suite. Le temps passait dans cette lutte continuelle entre le pouvoir de l’Autorité et les encouragements subtils des anges rebelles. De temps à autre, des hommes, des femmes, ou des créatures d’un autre genre, écoutaient les anges rebelles et la voix calme de Sophia, et tendaient eux-mêmes vers la sagesse. Les grands meneurs moraux de l’humanité, y compris Jésus, étaient des gens de ce genre, inspirés par les anges rebelles et Sophia, et pas par l’humanité. À chaque fois qu’une de ces personnes se présentait et bouleversait l’ordre de l’Autorité, celle-ci s’arrangeait vite pour que ses églises et ses prêtres les punissent et pervertissent leurs enseignements, et ainsi de suite : les églises et les papes, l’inquisition, les bûchers des hérétiques, etc. Donc, dans ma conception, Jésus était un humain encouragé, par les murmures de la sagesse et par les anges rebelles, à dire aux gens certaines vérités à propos de la moralité. Les grands enseignements moraux de Jésus sont inégalés. Et l’Église ne les a jamais remarqués. À part l’église de Southampton.

TW : (rires) Nous y reviendrons un peu plus tard. C’est une grande histoire dans le contexte d’À la croisée des mondes. Et quelle place accordez-vous à Jésus dans le monde réel ? Que gardez-vous de cette histoire ?

PP : Je garde tout. C’était un être humain qui… Tous ses enseignements, toute sa sagesse étaient humains. Nous n’avons pas besoin d’une divinité ; nous n’avons pas besoin d’impliquer Dieu. Dieu est un autre épicycle. Sauf qu’il a dit qu’il était le Fils de Dieu, et ainsi de suite.

TW : Mais pourquoi… ?

PP : Peut-être parce qu’il en était persuadé. C. S. Lewis a écrit un passage à ce propos, que j’ai lu pour la première fois quand j’étais jeune et qui m’a complètement convaincu. Il disait que Jésus était l’homme qui faisait tout ça, et qui prétendait être le fils de Dieu. Il y a seulement trois façons de considérer cette question, de l’interpréter. Soit il était fou, et ses affirmations n’ont pas plus de valeur que celles d’un homme qui dit qu’il est un œuf poché ; soit il était le plus grand menteur de l’histoire de l’humanité, et nous devons le voir comme le Diable ; soit ce qu’il disait était vrai. Voilà les trois seules interprétations possibles. Et je me suis dit : mon Dieu, c’est vrai, c’est forcément vrai ; les deux autres interprétations sont impossibles. Mais, en réalité, c’est un exemple de la rhétorique intimidante de C.S. Lewis, parce que ce ne sont pas les trois seules interprétations, il y en a beaucoup, beaucoup d’autres. Par exemple, il parlait peut-être par métaphores et non pas littéralement. Ou encore, c’était peut-être une erreur de traduction. Ou encore, peut-être que ce sont ses disciples qui ont rajouté cela dans l’histoire après coup, parce qu’il ne l’avait pas écrit : il a été cité par quelqu’un qui a écrit soixante-dix ans après sa mort ; et cætera, et cætera. Il y a toutes sortes d’autres interprétations. Donc ma façon de voir Jésus, c’est comme un génie moral qui s’est probablement convaincu lui-même qu’il était divin et a été tué pour des raisons politiques.

TW : Dans ce cas, que faites-vous de la résurrection ?

PP : Cela n’a aucun sens.

TW : Pourquoi ?

PP : Parce que les gens ne reviennent pas d’entre les morts, ou alors c’est qu’ils n’étaient pas morts en premier lieu. Il a pu être descendu de la croix avant sa mort, dans un état de choc admettons, puis réanimé plus tard. Si c’est ce qui s’est passé, nous n’en savons rien. C’était il y a très longtemps, et je sais par expérience, ayant vu des histoires sur moi dans les journaux en ayant été interviewé seulement la semaine précédente, qu’il est très facile de mal comprendre. Je veux dire, un peu de bon sens !

TW : J’en suis sûr, mais certains des auteurs anciens de l’Église, Paul par exemple, disent : « Certaines personnes à qui vous pouvez parler (ils sont encore en vie) l’ont vu. »

PP : Eh bien, comme je l’ai dit dans le début de notre conversation, avant que vous commenciez vos questions, j’ai été dans une église avec beaucoup de gens (probablement un millier) qui auraient juré aveuglément avoir entendu quelqu’un parler la langue des anges.

TW : Mais ils l’avaient clairement entendu parler quelque chose.

PP : C’était du charabia ! Je suis assez sceptique en ce qui concerne Paul, parce qu’il est clair qu’il cherchait à servir ses propres intérêts. D’abord, il était convaincu, si je ne me trompe, que le monde allait disparaître avant sa mort.

TW : Non, dans certains passages il a l’air de penser ça, et dans d’autres non. Ce que j’ai lu suggère qu’il pensait que Jésus allait finir par revenir, et que ça pouvait être pendant notre vie, donc nous devions nous y préparer, mais il ne me semble pas qu’il était convaincu que ce serait pendant la sienne.

PP : Il était également… bien situé, il était à l’intersection de différentes branches et différents héritages culturels. Il y a beaucoup de platonisme.

TW : Ou nous y avons lu du platonisme.

PP : Est-ce que ce n’est pas la même chose ? Si nous l’y voyons, est-ce que ce n’est pas parce qu’il y est ? Quand Paul dit, par exemple : « Maintenant nous voyons sombre à travers une vitre, puis face à face », est-ce que ce n’est pas la même chose que l’image célèbre de Platon des ombres dans la caverne ? Il y a une réalité plus vraie autre part. Ici, la réalité que nous pensons voir autour de nous n’est qu’une ombre, qu’une image dans un miroir. Ce n’est pas la réalité, la réalité est ailleurs. C’est du pur platonisme. Nous ne le lisons pas chez Paul ; ça y est clairement. En plus, il avait ses propres problèmes (comme on dit maintenant) avec le Judaïsme, dans la mesure où en tant que Juif, mais Juif romain, ou Juif et citoyen romain, il lui est apparu qu’il y avait un message qui transcendait le Judaïsme et était également pour les Gentils, même s’il devait toujours y avoir la circoncision : de l’Esprit ! Mais ensuite, c’est un gamin embrouillé, et c’est Paul qui est responsable de beaucoup de la doctrine chrétienne d’aujourd’hui, que ce soit dans son Épitre aux Romains, son effet sur Luther, ou tout le reste. Ce qu’il y a d’autre avec Paul et la raison pour laquelle c’est un personnage si important, c’est qu’il était aussi un génie littéraire ; alors que, pour ce qu’on en sait, Jésus n’était pas un génie littéraire, même si c’était de toute évidence un très grand conteur, et ces deux qualités ne vont pas toujours ensemble. Paul était doué pour l’écriture, mais je ne crois pas que Jésus ait écrit quoi que ce soit qui nous soit parvenu. Mais il racontait des histoires, et ce qu’il y a de bien à propos des histoires et des paraboles que Jésus racontait, c’est qu’elles s’apparentent à des contes de fées ou aux grands mythes. Et peu importe en quels termes on la raconte, l’histoire produit le même effet sur nous car elle opère à un niveau en-dessous ou au-dessus de la littérature, ou en tout cas au-delà des mots. C.S. Lewis, qui a dit beaucoup de choses très intelligentes, sensées et profondes sur la manière dont fonctionne la littérature, a dit quelque chose (je ne sais plus où) de ce style : c’est ainsi que l’on met vraiment un mythe à l’épreuve. Si on entend l’histoire d’Orphée et Eurydice, par exemple, peu importe qui raconte l’histoire ou quelle version de l’histoire, elle produit encore son impression viscérale, à cause que ce qui s’y passe, et pas à cause de la manière dont elle est racontée. C’est là la différence entre un mythe et une œuvre littéraire. Si on essayait de raconter le roman de Virginia Woolf, Mrs Dalloway, avec d’autres mots, il en résulterait la merde la plus plate et ennuyeuse qu’on peut imaginer. Ce qui importe, ce n’est pas ce qui se passe, mais la façon dont c’est raconté. Voilà la différence. Et Paul était un génie à la manière de Virginia Woolf, pour sa façon d’utiliser les mots (pensons au passage célèbre sur l’amour et la charité) qui pouvait fixer les doctrines d’une certaine manière, permettait d’exprimer et de penser certaines choses et empêchait d’exprimer et de penser d’autres choses. Donc quand on observe l’histoire de l’Église chrétienne, bien sûr il faut observer Jésus. Mais il faut aussi observer Paul, et les autres auteurs des épîtres, les premiers pères de l’Église et tous les autres : la plupart d’entre eux agissait à l’intérieur, pour la soutenir, ou à l’extérieur, pour la détruire, d’une sorte d’organisation humaine bureaucratique. Depuis que c’est une église, depuis qu’il y a des conseils pour déterminer ce que l’on peut ou ne peut pas croire, et depuis qu’il y a une autorité humaine en les personnes des prêtres, des papes, etc., il est nécessaire que ce soit un facteur central dans ce que les gens disent de la doctrine chrétienne. Soit on contredit ce que disent les autorités, soit on le soutient, soit on le rabaisse, soit on le clarifie, et sinon quoi. Plus on continue, plus on s’éloigne de ce que Jésus à dit. Je ne pense pas que Jésus ait eu quoi que ce soit à dire sur des sujets tels que l’assomption de la Vierge Marie, ou l’infaillibilité du Pape, ou si oui ou non les hommes séropositifs sont autorisés à porter des préservatifs quand ils font l’amour à leur femme…

TW : Absolument.

PP : …mais l’Église, si, et c’est à cela que je m’oppose.

TW : Ou certaines parties de l’Église en tout cas.

PP : À mon avis, la seule véritable Église. C’est un gros problème, parce que les Orthodoxes vont dire qu’ils sont la seule véritable Église, tout comme les Baptistes qui portent des serpents en Alabama disent qu’ils sont la seule véritable Église. Le problème pour quelqu’un d’extérieur, comme moi, c’est : l’une d’entre elles ne dit probablement pas la vérité. Laquelle ? Comment le savoir ? Je n’ai que le sens commun et l’expérience humaine pour m’en sortir.

TW : C’est une critique tout à fait raisonnable, c’est pourquoi je pense qu’il est important de se référer aux documents sources. C’était l’éclair de génie de Luther, si vous voulez, de dire : « Non, notre compréhension est entre nos mains parce que nous avons ce texte, la Bible, qui est ouverte et devrait être ouverte à l’interprétation de chacun ».

PP : Bien sûr, et les 95 thèses sur la porte de l’église était un grand pas en avant pour la race humaine. Ça ne fait aucun doute.

TW : Donc, quand je prêche, je me réfère sans cesse à Jésus pour entendre ce qu’il a dit. J’ai plus tendance à vrai dire à me servir de Jésus et de l’Ancien Testament que de Paul, simplement parce qu’on se sert beaucoup plus de Paul. Ce n’est pas parce que je pense que Paul était un gamin embrouillé ; je pense au contraire qu’il était extraordinairement cohérent et unifié dans sa pensé, qui faisait bien plus appel au Judaïsme qu’à la pensée grecque. Pour en revenir à la question du platonisme, Platon et Paul voient certaines choses de la même manière, mais je ne pense pas que cela revienne au même que de dire que Paul était platonicien.

PP : Non, mais le platonisme était un courant si fort dans la pensée de l’époque qu’on le trouve partout : en particulier dans le gnosticisme, par exemple.

TW : Absolument. Et le gnosticisme, ainsi que certains des premiers pères de l’Église que vous avez cités ont beaucoup investi dans le platonisme et ont modelé la compréhension de la chrétienté pendant des siècles. Plus tard, Thomas d’Aquin a beaucoup fait appel à Aristote, ce qui a fait entrer le platonisme, et je pense que certaines de vos critiques de l’Église tout au long de l’histoire (certaines sont valides jusqu’à un certain point, mais sur d’autres aspects je suis en désaccord avec vous) sont basées sur le fait que l’on a fait appel au platonisme et qu’on a commencé à regarder Paul avec des yeux platoniciens. Donc quand il parle de voir sombre à travers une vitre, on dit : « C’est du platonisme ». Mais peut-être qu’en fait, ça vient d’autre chose, et Platon avait raison, mais Paul se base sur une source différence de celle que je crois. Cela nous a mené à la séparation supposée du corps et de l’âme, mais je ne crois pas que ce soit vrai bibliquement. Je ne crois pas que l’on puisse trouver ça dans les textes bibliques. Vous critiquez souvent l’Église parce qu’elle est contre le sexe, etc. Mais cela aussi, c’est venu du gnosticisme et de Platon. Je ne crois pas que les textes bibliques en soient la source.

PP : C’était clairement quelque chose que l’Église a acheté en gros.

TW : Oui, dans une large mesure. « En gros », c’est peut-être un peu fort, mais dans une large mesure à certaines périodes de l’histoire, et elle n’aurait jamais dû : c’était de l’hérésie, totalement. Et voilà que je réponds encore aux questions. Parlons du paradis. Vous avez dit dans plusieurs interviews que l’idée traditionnelle du Royaume des cieux n’a pas tenu ses promesses par certaines caractéristiques clés que vous mettez en lumière. À votre avis, quelles sont ces caractéristiques clés, et pourquoi pensez-vous qu’il n’a pas tenu ses promesses ?

PP : Je ne suis pas certain de penser qu’il n’a pas tenu ses promesses. À mon avis, ce qui s’est passé, c'est que quand le roi est mort, qu’en a-t-il été du royaume ? Telle est la question. Le Royaume des cieux… Je ne sais pas si vous avez lu un de mes ouvrages qui s’appelle La République des cieux, c’est une sorte d’exploration de comment et de ce que je conçois de cette notion. Parce que j’ai un regard sur… enfin, je l’ai écrit dans un contexte de littérature pour enfants, donc tous mes exemples sont tirés de la littérature pour enfants. L’une des conséquences de la mort de Dieu, c’est l’absence des cieux. Si Dieu est mort, comment croire au ciel ? « Ce à quoi je fais référence (je le cite directement), c’est au sentiment que les choses sont justes et bonnes, et que nous appartenons à un tout juste et bon. C’est le sentiment que nous sommes en liaison avec l’univers. C’est en cette connexion que réside le sens : le sens de nos vies est en connexion à quelque chose d’autre que nous-mêmes. Cette religion, qui est morte à présent, nous a offert cela en abondance. Nous appartenons à un immense drame cosmique qui implique une Création, une Chute et une Rédemption, des Cieux et des Enfers. Ce que nous avons fait a bien eu son importance, parce que Dieu a tout vu, même la chute d’un moineau. Et l’une des conséquences les plus mortelles et oppressantes de la mort de Dieu est ce sentiment de manque de sens ou d’aliénation que beaucoup d’entre nous ont ressenti au siècle dernier. » Y compris moi. Donc ce que je recherche, c’est un moyen de penser les cieux, qui restaure ces sentiments de justesse, de bonté, de connexion et de sens, et qui nous confère une place. Mais parce qu’il n’y a pas d’ailleurs, il faut que cela existe dans le seul endroit que nous connaissons avec certitude, c’est-à-dire la Terre, et nous devons faire en sorte que notre monde soit aussi bon que possible pour nos voisins et nos descendants. C’est ce que j’entends par république des cieux. Mais nous n’y parviendrons jamais.

TW : Pourquoi pensez-vous que c’est impossible, que nous n’y parviendrons jamais ?

PP : À cause de l’entropie. On lutte toujours contre cela.

TW : C’est une bonne réponse à tout.

PP : La tendance même qu’a la matière de former des molécules, parce que la matière aime la matière, est d’une certaine manière une lutte contre l’entropie. Mais nous pouvons beaucoup nous amuser avant de tourner court dans le froid et les ténèbres.

TW : À votre avis, quelle chance avons-nous de réussir ? Est-ce seulement une question d’entropie, ou pensez-vous que les êtres humains sont seulement capables d’améliorer les choses ?

PP : Eh bien, nous nous améliorons maintenant dans les démocraties libérales occidentales plus que jamais auparavant. Nous nous améliorons en termes de sciences médicales et de soins aux personnes malades et souffrantes plus que jamais auparavant ; nous avons progressé dans les domaines scientifiques. Nous avons également progressé en compréhension morale. Il n’est plus acceptable pour nous maintenant de torturer des gens pour tirer d’eux des réponses. De manière générale, la plupart des démocraties libérales occidentales ont renoncé à la peine de mort. De manière générale, nous comprenons à présent, par exemple, qu’il est mieux de respecter la liberté de la presse et la liberté d’expression que le contraire. Ce sont des avancées morales. Dans certaines parties du monde, bien sûr, ce niveau n’a pas encore été atteint et la lutte fait rage contre les forces de l’obscurantisme, sous la forme de l’intégrisme islamique. Donc nous avons peu de chance, mais nous ne sommes pas impuissants.

TW : C’est très fort, du fait du sens de la responsabilité que vous impliquez.

PP : C’est presque le plus important selon moi. Nous sommes responsables.

TW : Cette idée du progrès est quand même très importante, non ? Vous avez commenté le progrès technologique…

PP : Et moral. Et politique.

TW : Mais pour la question technologique, c’est comme le poignard subtil. Je pense que le poignard subtil est une invention géniale. Je me souviens d’avoir lu dans une de vos interviews que vous trouvez minable d’utiliser la magie uniquement pour sortir d’affaire des personnages. Mais parfois, c’est un peu le rôle que joue le poignard subtil. Si ça sent le roussi, on peut simplement ouvrir une fenêtre et sauter au travers dans un monde calme et sûr. Mais c’est très fort, parce que c’est vraiment à double tranchant…

PP : Tout a un prix, et il y en avait un. Le prix, c’est qu’il faut s’en servir d’une façon responsable alors qu’on est toujours tenté de s’en servir de façon irresponsable. On peut s’échapper rapidement, on peut ouvrir une fenêtre et voler quelque chose, ce qui a mené à la catastrophe de la ville de Cittàgazze, etc. Et en ce sens, c’est bien sûr une métaphore de chaque avancée technologique que nous avons faite.

TW : C’est une métaphore très forte. Mais beaucoup de gens en ce moment diraient que le progrès technologique que nous avons fait a été trop cher payé. Nous vivons une crise environnementale. La menace nucléaire pèse encore sur nous (on l’oublie souvent, mais elle est bien là), et tout le reste. Et le prix en termes de vies (des vies parfois perdues, parfois brisées) a été trop élevé. Que répondez-vous à cela ?

PP : C’est une question à l’équilibre très subtil, et qui est difficile à juger. Mais les peurs changent et certaines choses les surmontent. J’en ai justement lu un exemple dans le journal, hier ou aujourd’hui. Très récemment, quelqu’un a dit qu’en l’an 2000, nous vivrions tous dans des cavernes à nouveau car les réserves de pétrole auraient été épuisées. Ce n’est pas le cas. Et des choses que nous n’avions pas prédites se produisent. Il y a trente ou quarante ans, personne n’aurait prédit le trou dans la couche d’ozone. Donc nous sommes toujours dépassés par des choses auxquelles nous ne nous attendions pas. Mais alors nous commençons à essayer de régler ces problèmes. Et est-ce que notre dentisterie presque sans douleur a été payée au prix de… bon, elle a été payée au prix de quelque chose. Mais peut-être que ça valait le coup !

TW : Oui, peut-être.

PP : Mais bien sûr, nous ne sommes jamais capable d’en juger et de dire : « Regardez toutes les suites et toutes les conséquences », parce que nous vivons ces choses et ne les avons pas encore dépassées. Nous n’avons pas de recul ; nous sommes obligés de dire : « Pour l’instant, tel que nous pouvons en juger maintenant, cela a l’air de fonctionner ». Et nous devons faire peser toute notre connaissance, toutes nos informations, toute notre intelligence, tout notre savoir sur ces choses et… bon, vous diriez qu’il faut faire confiance à Dieu, à la providence ou que sais-je, et moi de croiser les doigts. Je ne voudrais pas avoir à expliquer cela à Richard Dawkins, parce qu’il n’est pas d’accord avec l’idée de croiser les doigts. Mais il y a une question de hasard dans la vie humaine, et des conséquences que nous ne connaissons pas. Mais nous devons agir d’une manière responsable.

TW : C’est une question en marge, mais quand Iorek examine le poignard pour la première fois et qu’il dit « Ce poignard a des intentions que tu ne connais pas », les connaissiez-vous à l’époque, ou vous êtes-vous dit « Il y a quelque chose là-dessous, il faut que je sache quoi » ?

PP : J’avais le sentiment qu’il y avait d’autres choses que je ne connaissais pas encore. Ma connaissance du poignard était celle que l’on a du système des nombres naturels, à savoir qu’il y a toutes sortes de motifs que nous n’avons pas encore découverts, et dès que l’on établit un système numérique, on découvre que certains priment, etc. Toutes sortes de motifs émergent. Tout ceci est implicite dans le système, et d’autres choses sont implicites dans l’idée du poignard subtil, et je ne sais pas… Je suis sûr que je vais en découvrir plus que je ne le pense à ce sujet.

TW : J’aimerais vous poser tant de questions sur le processus de récit et d’écriture…

PP : C’est le seul sujet où j’ai l’espoir de pouvoir faire autorité dans notre conversation. La plupart de ce que j’ai dit cet après-midi ne me convainc pas.

TW : Pour en revenir au progrès, je pense que vous avez raison de dire que nous avons fait de vrais progrès dans beaucoup de domaines. Dans d’autres domaines, je n’ai pas l’impression que nous ayons progressé du tout ; les démocraties occidentales, ces dernières années, ont été déchirées par toujours plus de tensions internes, de mensonges et de nationalisme, ce genre de choses. Et je me demande : nous avons fait des progrès fantastiques en Afrique du Sud, nous avons vu la fin de l’apartheid, fantastique (j’allais dire « Merci mon Dieu », mais ce n’est peut-être pas approprié dans ce contexte), mais en même temps, les Balkans sont à feu et à sang, et je me demande si l’être humain s’améliore vraiment, ou si nous sommes toujours ceux que nous avons toujours été ?

PP : D’abord, nous ne savons pas ce que nous avons toujours été, nous savons des choses sur les 3000 dernières années puisque l’histoire n’a pas été recensée auparavant. Mais 3000 ans n’est qu’un instant au vu de l’évolution. Tout ce que l’on peut dire, c’est que les êtres humains il y a 30000 ans avaient des cerveaux de la même taille qu’aujourd’hui et des capacités équivalentes à celles d’aujourd’hui. Donc nous ne savons pas ce que nous étions à l’époque, nous n’en avons aucune trace écrite, donc dire que nous empirons, ça se base sur un glissement minuscule dans le temps. Ensuite, l’argument du « nous empirons tous » est contré par l’étrange fait psychologique selon lequel tout semble empirer tout le temps. La nourriture n’est pas aussi bonne que quand ma mamie la cuisinait. Même dans l’un de nos documents les plus anciens, L’Iliade, le vieux roi Nestor fait des reproches aux autres rois tandis qu’ils luttent contre les Troyens : « J’ai combattu auprès de vos pères : ils étaient dix fois les hommes que vous êtes ! À présent vous n’êtes tous que des faibles ! » Donc même à l’époque, on trouve la présence de cet étrange élément psychologique, de la façon dont nous sommes faits : nous avons tendance à voir les choses moins bien qu’elles n’étaient. Donc je pense qu’il faut prendre cela en compte lorsque l’on dit que les êtres humains ne s’améliorent pas. Peut-être pas, en effet, mais je ne pense pas que nous empirions. Et enfin, ce que je n’ai pas mentionné, c’est l’influence de cet affect que l’on pourrait appeler culture : les habitudes transmises, le comportement, l’association, le développement des lois, etc. Je lis en ce moment le livre de Steven Pinker (The Blank Slate) sur la nature humaine.

TW : Et qu’en pensez-vous ?

PP : Je n’en suis pas encore très loin, mais il défend l’idée selon laquelle une nature humaine existe…

TW : Oui, il s’est un peu isolé sur certains points.

PP : Eh bien, c’est ce que je m’attends à trouver, mais je n’en suis pas encore loin. Mais il s’oppose, si je ne me trompe, à l’idée selon laquelle une nature humaine n’existe pas, que les êtres humains sont incroyablement plastiques, et que tout vient de l’éducation. Ce à quoi il répond : « Oui, il y a une nature humaine : elle a traversé l’évolution, elle est ceci, cela, etc. » De toute évidence, les deux idées sont vraies. La nature humaine peut alimenter l’armature, mais ce qui se joue au-dessus de l’armature est formé par la société, les habitudes, les coutumes, et les histoires, effectivement, qui sont transmises de génération en génération et nous aident à nous former jusqu’à un certain degré. Donc les deux sont importants, et j’ajouterai qu’il ne faut pas ignorer les effets de la culture.

TW : Vous avez déclaré dans une de vos interviews que nous devions travailler à la création de la République des cieux en tant que citoyens libres et égaux. Cette notion d’égalité m’intéresse. À quel niveau sommes-nous réellement égaux ? Quel sens y a-t-il à parler d’égalité ? Parce que c’est un grand concept dans notre société en ce moment, et c’est une idée formellement complexe à laquelle beaucoup de gens ont réfléchi, et je suis certain que vous y avez réfléchi plus que la plupart.

PP : Eh bien, dans un sens, bien sûr, nous ne sommes pas égaux. Nous avons des capacités, un potentiel, un physique différents, et ainsi de suite. Donc nous ne sommes pas égaux. Mais ce n’est pas l’égalité dont il est question. L’égalité dont il est question, au moins en tout cas dans les partis politiques, est différente. J’aime penser à John Rawls et son livre Théorie de la justice avec ces deux notions géniales : d’abord, la position originelle. Si nous pouvions revenir au départ, avant la formation de toute société (imaginons une société qui s’est construite à partir de rien), en lien avec l’idée du voile de l’ignorance. Ce qu’il nous faut, c’est établir une société, mais sans savoir à l’avance le rôle que nous allons jouer dans cette société. Comment pouvons-nous entreprendre quelque chose dont le résultat doit nous satisfaire quand nous nous trouvons où nous sommes ? Bien sûr, si c’était le cas, et si on ne savait vraiment pas où l’on allait finir, on n’établirait pas une société basée sur une tyrannie religieuse (ou toute autre sorte de tyrannie) où une poignée de personnes règnent sur une masse d’Ilotes et d’esclaves. Donc les grandes notions de Rawls, de la position originelle et du voile de l’ignorance, sont ici d’une grande aide, je pense.

TW : Quand vous dites « citoyens égaux », vous parlez vraiment d’une égalité politique.

PP : Oui, c’est une égalité de droits, faute d’un meilleur terme. Et, bien sûr, de responsabilités. Mais souvenez vous, la République des cieux est une métaphore. J’insiste sur le fait que c’est une métaphore : je ne veux pas qu’on la prenne à la lettre. Certaines personnes m’ont demandé « Et qui sera le Président ? », ce à quoi je réponds : « Demander cela, c’est comme demander de quelle couleur sera le tapis sur les marches du palais présidentiel. » C’est une question qui n’a pas de sens. C’est une métaphore : c’est une façon de se comporter les uns envers les autres.

TW : C’est une métaphore très forte et avec laquelle, à certains niveaux, du fait de ce que vous venez de souligner avec la responsabilité, etc., je suis d’accord. À un autre niveau, il y a son origine : le fait que le roi soit mort, ou qu’il n’y ait jamais eu de roi, et que nous ayons besoin de quelque chose qui nous donne le même sentiment que le royaume des cieux. C’est là que j’ai un problème, parce que je me demande si c’est vraiment de ça que parle la Bible avec l’idée du royaume des cieux.

PP : Je ne sais pas. Je pense que la Bible parle plutôt du royaume de Dieu que du royaume des cieux.

TW : Oui, c’est vrai. Et comment le comprenez-vous ?

PP : Mmh… Je ne suis pas sûr de le comprendre d’une façon cohérente, mais j’en tire, à nouveau, un sens métaphorique. La métaphore du royaume et de la royauté, et la notion que « le roi est mort » : « Dieu est mort ». J’aime le mettre en ces termes, parce que cela exprime vraiment l’idée qu’il y avait quelque chose que nous ressentions comme vivant, mais qui n’est plus, et nous sommes perdus à cause de cela, et nous devons trouver un moyen de nous en sortir dans un monde où Dieu est mort. Nietzsche… C’était Nietzsche qui l’a exprimé comme cela le premier, non ?

TW : Oui. J’allais justement vous demander si vous étiez nietzschéen.

PP : Étant donné que vous avez dit qu’Hitler était nietzschéen, je ne pense vraiment pas ! Je ne pense pas que Nietzsche aurait vu Hitler comme nietzschéen ! Non, je ne suis pas nietzschéen, je ne suis pas un disciple. L’expression « Dieu est mort » me semble englober une manière bien plus exacte de voir les choses que de penser qu’il n’y a jamais eu de Dieu. Il fut un temps où tout le monde croyait en Dieu : il était très important, il avait une place centrale dans toutes nos vies. Puis il est devenu impossible de croire en lui. C’est exactement comme si Dieu était mort. C’est le sentiment que j’ai. Quelles sont les conséquences ? Eh bien, au lieu de nous voir comme des créatures, des enfants ou que sais-je, nous… En fait, les parents sont morts, et nous sommes responsables. Nous devons nous occuper de la maison.

TW : Pouvons-nous parler de l’idée de grandir ? Parce que vous avez déclaré que c’est le sujet principal d’À la croisée des mondes. J’ai aussi vu que vous disiez qu’il s’agit d’avantage de vérité que de fantastique pour Lyra.

PP : On pourrait dire qu’elle apprend à distinguer vérité et fantastique… Apprendre à voir la valeur de la vérité plutôt que de vivre dans un tissu de mensonges est un élément important quand on grandit. Il faut toujours être très sceptique quant à ce que dit un auteur sur sa propre œuvre. Mon interprétation d’À la croisée des mondes n’est ni plus valide, ni plus privilégiée que celle d’un autre. Ma seule autorité est celle d’un homme qui connaît vraiment bien le texte. C’est tout. Je n’ai pas le droit que dire ce que ça signifie, ou comment on doit lire tel passage, ou ce que ce passage signifie. Si le texte supporte une interprétation, c’est qu’elle est tenable.

TW : Ça sonne un peu postmoderne…

PP : Dans une certaine mesure, mais je n’irai pas jusqu’à dire que le texte s’est écrit tout seul, que je n’existe pas et ainsi de suite. Je sais très bien que je l’ai écrit, et c’était du boulot ! Non, ce n’est pas postmoderne, ou si ça l’est, c’est que dans ce sens, le postmodernisme coïncide avec le sens commun. Je m’oppose seulement à l’idée d’une interprétation qui fait autorité ; je serais comme le Pape, au lieu de Luther ! Je suis dans la position de Luther, je dis : « Voilà, lisez-le. Tirez-en votre propre interprétation. »

TW : Votre intention, enfin, ce que vous pensiez en écrivant, n’est donc pas toujours ce qui est dans le texte ?

PP : Non, et je découvrais beaucoup de ce que je pensais en écrivant. Donc j’ai commencé sans savoir, non pas ce que serait le résultat, mais sans savoir ce que signifiait l’intrigue sous-jacente. Je l’ai découvert en chemin, avec le sentiment que je devais me diriger vers ceci et pas vers cela, que l’histoire voulait faire ceci et pas cela, donc j’ai suivi l’histoire.

TW : Mais quand vous l’écrivez, vous l’interprétez pour vous, et plus encore. Cette interprétation a-t-elle trouvé sa place dans le récit ? Ne fait-elle pas autorité, dans un sens ?

PP : Non, je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’une interprétation. Ce que l’on fait, quand on écrit, c’est… Essentiellement, on peut le décrire très simplement. Le principal dans une histoire consiste à penser à quelques événements intéressants, à les mettre dans l’ordre qui mette le mieux en relief ce qui les relie, puis les relater aussi clairement qu’on le peut. Quand on commence à les interpréter en chemin, à dire au gens comment le lire et ce que ça veut dire, on fait quelque chose d’autre que de raconter l’histoire, et je ne veux pas faire ça. D’abord, parce que ça ne m’intéresse pas vraiment. Ensuite, parce que c’est atrocement ennuyeux de lire des livres faits comme cela. L’une de mes citations préférées, que j’ai répétée de nombreuses fois, est d’Isaac Bashevis Singer : « Les événements en eux-mêmes sont bien plus sages que tout commentaire jamais fait ». Dès que l’on commence à dire « Voilà comment lire l’histoire » et « Non, il ne faut pas comprendre ça comme ça, je voulais dire ça à la place », et « Voilà comment vous devriez le lire »… Je ne veux pas de ça. J’ai fait de mon mieux pour raconter une histoire claire, aussi clairement que je le pouvais, et les gens peuvent y lire ce qu’ils veulent. Je pense que l’histoire autorise certaines lectures et en décourage d’autres. Je pense que l’histoire aide à comprendre cela de plusieurs manières et, même si elle n’interdit pas d’autres lectures, elle les rend peut-être plus difficiles. Mais je ne voudrais pas dire aux gens comment la lire.

TW : J’ai entendu certaines personnes dire que ce genre de réponse manque peut-être un peu de sincérité, alors qu’un personnage comme Mary Malone, par exemple, a des déclarations très fortes, qui peuvent coïncider avec le genre de déclarations que vous avez eu dans la vraie vie, à propos de vos propres positions. Et la corrélation entre les opinions de Mary Malone et les vôtres crée une impression de… Disons si vous voulez que Mary Malone interprète sa situation, et que vous dites ce qu’elle dit.

PP : Ne serait-ce pas un peu étrange que j’écrive un livre où tous les personnages qui s’expriment le font contre moi plutôt qu’avec moi ?

TW : Si, bien sûr.

PP : Mais cela ne veut pas dire du tout que je suis d’accord avec tout ce qu’a dit Mary Malone. Il était important pour moi d’avoir un personnage comme elle, qui pouvait voir certaines choses à certains moments. Qui pouvait revenir, par exemple, sur ce qu’elle avait ressenti après avoir cessé d’être chrétienne, à savoir que même si le monde était très intéressant, complexe et beau, il n’avait ni signification ni but ? C’est vraiment important qu’à un moment donné, dans le livre, elle dise : « Je croyais qu’il n’y avait pas de sens, mais il y en a maintenant ! Le sens, c’est que je dois l’expliciter. Je dois le découvrir et le rendre explicite. Voilà la signification et le but ! Le monde est rempli d’un but ! » C’est important pour moi d’avoir un personnage qui découvre ça, et c’est une découverte que j’ai faite, donc il serait surprenant qu’aucun personnage ne l’exprime.

TW : J’ai trouvé que Mary Malone était un personnage intriguant sur certains plans. Je l’aimais pour beaucoup de raisons, mais j’ai aussi été un peu déçu, parce que vous aviez annoncé qu’elle était la tentatrice, mais ensuite la tentation ne semblait pas si grande que ça. Je me suis dit : « Qu’est-ce qui ne va pas ? » Elle raconte son histoire, et Will et Lyra se rendent compte que, peut-être, ils s’aiment, mais ne l’auraient-ils pas réalisé de toute façon ?

PP : Non.

TW : Pourquoi pas ?

PP : Je pense qu’il y a une profonde vérité psychologique dans cet épisode de Dante, dans lequel il parle des deux amants, Paulo et Francesca, qui tombent amoureux parce qu’ils lisent ensemble l’histoire de deux amants, ce qui a fait naître l’idée dans leurs esprits, les a fait commettre l’adultère, ce qui les a finalement envoyé en enfer, ce qui est la raison pour laquelle Dante en parle. Quelqu’un a posé la question (je ne sais plus qui) : « Est-ce que quiconque tomberait amoureux s’il n’avait jamais lu une histoire d’amour ? » et je pense que c’est très vrai. C’est un aspect de l’accent général qui pèse sur les récits, qui traverse tout À la croisée des mondes, et sans doute surtout dans la séquence du monde des morts. Nous devons raconter des histoires pour raconter la véritable histoire de notre vie. Et Mary raconte une histoire vraie. Elle raconte une histoire qui éduque, qui dit à Will et Lyra quelque chose qu’ils ignoraient jusque là. Après que Lyra a entendu l’histoire… (Pullman lit un extrait du Miroir d’ambre) :
En entendant cela, Lyra sentit un étrange phénomène se produire en elle. (…) C’était comme si on lui avait donné la clé d’une grande maison dont elle ignorait l’existence jusqu’à présent, une maison située à l’intérieur d’elle-même et, alors qu’elle tournait la clé pour pénétrer dans l’obscurité de cette demeure, elle sentait d’autres portes s’ouvrir, et des lumières s’allumer. Assise par terre, les genoux dans les mains, elle tremblait (…). Quant à Lyra, elle n’avait pas bougé un seul muscle depuis que cette étrange chose s’était produite, et elle conservait en elle le souvenir de ces sensations (…). Elle ignorait ce que c’était, ce que ça signifiait, et d’où ça venait ; alors elle restait assise, les genoux serrés contre la poitrine, essayant de maîtriser ses tremblements d’excitation. « Bientôt, se disait-elle, bientôt je saurai. Je saurai très bientôt. »
Ce qui se passe, là, c’est que son corps, tout son moi, ses nerfs, ses souvenirs, son imagination sont agités, stimulés exactement, et elle ressent ce qu’Ève a ressenti, les sens brouillés, quand elle a cueilli la pomme qui, d’après le serpent, lui donnerait la connaissance du bien et du mal. C’est ce qui se passe à ce moment-là, et bien sûr c’est une tentation. C’est le début de la sagesse ! Quand les anges, via l’ordinateur, ont parlé à Mary la tentatrice en des termes qu’elle pourrait comprendre, ils ont parlé d’Augustin et des natures de la matière et de l’esprit, etc. : voilà les termes qu’elle peut comprendre. Elle sait qu’elle a un rôle complet et important à jouer. Mais elle ne sait ni comment, ni quoi. Ce qu’elle fait, ce que fait le serpent dans la Genèse, et ce que font ma Sophia et tous les autres, c’est illuminer, apporter de la sagesse, nous aider à atteindre le niveau supérieur. Ce sont des bonnes fées, au sens de Cendrillon. La bonne fée est un personnage très intéressant. L’histoire de Cendrillon est plus connue à travers le monde que n’importe quelle autre histoire : il y a au moins quatre cents versions différentes de Cendrillon. Chaque culture dans le monde a une histoire de Cendrillon, et dans chacune il y a l’équivalent de la bonne fée. Dans certaines, c’est un rosier qui a poussé sur la tombe de la mère, dans d’autres les colombes qui descendent, et bien d’autres choses. Mais c’est toujours un substitut des parents. Et la fonction de la bonne fée dans Cendrillon est d’aider la jeune fille, sur le point de devenir adulte, à passer à l’étape suivante et à devenir une adulte mature, prête à l’expérience sexuelle civilisée par le mariage, à la maturité, etc. Donc on peut dire que Cendrillon est une variante de l’histoire d’Adam et Ève, et la bonne fée joue le rôle du serpent : « Voilà ce que tu dois faire pour passer à l’étape suivante : mange ce fruit ». Maintenant, si l’expérience amoureuse est liée à l’accès à la sagesse, c’est parce que c’est ce qui nous arrive : à l’adolescence, quand nos corps changent, quand nous avons d’étranges sentiments nouveaux, passionnants, troublants, passionnés, envers d’autres personnes, des membres de l’autre sexe en général, c’est aussi l’âge auquel nous devenons passionnés intellectuellement. Nous développons un intérêt passionné pour les mathématiques, les échecs, l’art, la science, la biologie ou quoi que ce soit d’autre. Cela fait partie de notre ouverture au monde et de notre maturité naissante. C’est tout ce que je dis.

TW : J’ai l’impression que vous tirez sur l’histoire pour la comparer avec ce qui s’est passé dans le jardin d’Éden.

PP : Oui, parce que vous voyez cela de l’autre point de vue.

TW : Oui, exactement. L’interprétation chrétienne, c’est que Satan dit que l’on va être comme Dieu dans nos connaissances, en connaissant le bien et le mal. En fait, ils ont déjà connu le bien ; ils ont connu le bien toute leur vie jusque là, et rien d’autre que le bien. Ils ont fait l’expérience d’une liberté presque absolue, avec cette seule restriction, et en adoptant cette restriction, en choisissant cet acte, ils ne trouvent pas la sagesse mais choisissent en réalité la rébellion et le mal. Ils…

PP : Je pourrais dire que vous tirez sur la vérité pour l’appeler le mal. Je pense qu’ils font leurs premiers pas sur la longue, douloureuse, difficile route vers la sagesse. Ils laissent l’innocence derrière eux et se dirigent vers la sagesse. Ce sont les deux extrêmes du spectre de l’expérience humaine. Blake les appelait innocence et expérience. Je les appelle innocence et sagesse. L’expérience est ce par quoi on doit passer pour obtenir la sagesse.


Traduit pour Cittàgazze par Irwenalis.

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Mardi 25 Mai 2010 - 21:14:02
Haku
Source : http://www.tonywatkins.co.uk
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