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L'origine de l'univers :.
Vendredi 23 Avril 2010 - 19:07:15 par Soldat Bleu - Détails - article lu 1369 fois -


L'origine de l'univers



En 2006, le célèbre physicien Stephen Hawking a donné une conférence à Oxford sur l'origine de l'univers, et sur les théories qui la soutiennent. Voici le compte-rendu de Philip Pullman qui y a été invité.

Le récit de Stephen Hawking sur l’origine de l’univers était une histoire d’une grande clarté. Les questions « Pourquoi sommes-nous là ? » et « D’où venons-nous ? » sont excellentes, et nous nous interrogeons tous dessus depuis le jour où nous avons commencé à grandir. Lorsque nous sommes enfants, d’autres questions nous préoccupent ; nous voulons savoir pourquoi on ne peut pas avoir plus de glace, pourquoi il faut aller au lit maintenant, et pourquoi rien n’est juste ; mais le jour où nous avons commencé à grandir, généralement à l’aube de l’adolescence, les questions du professeur Hawking sont devenues de plus en plus intéressantes. Bien sûr, certains arrêtent de grandir, et ils arrêtent de s’intéresser à ces questions. Ils se demandent à la place « Qu’il y a-t-il à la télé ce soir ? » ou « Où puis-je obtenir le meilleur rendement pour mes investissements ? »

La conférence du professeur Hawking a débuté avec un récit - dont je n’avais entendu parler - sur le grand dieu Bumba et ses problèmes digestifs. D’après la légende bushongo, Bumba avait des maux d’estomac et vomit le soleil, la lune, les étoiles, et divers animaux ainsi que les premiers êtres humains. Cette ingénieuse part de gastro-théologie fournit une très bonne explication au pourquoi sommes-nous là et d’où venons-nous, avec le seul léger inconvénient d’être fausse. Ou du moins, improbable. Si j’ai bien compris les calculs de Richard Feynman sur les histoires, le grand dieu Bumba est peut-être très occupé quelque part, mais probablement dans cette région de l’univers.

Au fur et à mesure que la conférence avançait, j’ai été frappé par la façon dont le récit du professeur Hawking était tellement plus intéressant que celui des bushongo. Je ne veux pas seulement dire plus probable, plus persuasif, mieux argumenté – même s’il était aussi ; je veux juste dire plus intéressant. C’était un meilleur récit : je voulais toujours savoir ce qui allait arriver ensuite, et pourquoi. C’était gorgé de ficèles et de personnages beaucoup plus intéressants. L’État Stationnaire, par exemple, que je ne pouvais pas m’arrêter de me représenter comme une sorte de publicité des années 50, avec un père de famille confortablement assis dans son salon et fumant la pipe, à côté d’un radiogramme, sa femme tricotant docilement derrière, et un petit garçon jouant avec ses Meccano sur le tapis. Le père ôterait sa pipe et scintillerait d’intelligence en déclarant « Je suis bien évidemment chez État Stationnaire Assurance, » et une légende en dessous préciserait « Vous Savez Où Vous Êtes Avec une Police État Stationnaire. » Il y avait d’autres acteurs fascinants, tels que la Théorie de la Relativité, les rayons cosmiques issus des débuts de l’univers qui apparaissent sur votre écran de télévision, et la création spontanée quantique de petites bulles qui se développent ou non dans les univers.

Une autre raison qui fait que l’histoire du professeur Hawking était différente de celle du peuple Bushongo se situe dans la relation que nous entretenons avec l’histoire elle-même. C’est la façon dont nous, l’audience lors d’une conférence universitaire, la congrégation d’une église, le jury dans un tribunal, la tribu à l’écoute autour du feu dans les pénombres de la savane, la façon dont nous regardons l’histoire que nous écoutons. Certains types d’histoires attendent certains types d’audience et une certaine attitude de cette audience. Je ne parle pas d’une attitude d’appréciation ou de respect, bien que chaque conteur l’espère aussi ; ce que je veux dire c’est qu’il y a quelque chose dans les circonstances de la narration qui dit « Cette histoire doit être prise à la lettre », ou bien « C’est une métaphore. Une chose en raconte une autre. » Dans le cours normal de la vie, nous dépendons de savoir quelle attitude il convient de prendre face aux histoires que nous entendons. Un témoin au tribunal peut dire la vérité, ou mentir, et le jury doit le croire ou non ; mais ils ne se mettent pas à penser qu’il emploie des métaphores. Si l’avocat général demande « Dites à la court ce que vous avez vu faire l’accusé, » et que le témoin répond « Il a planté un couteau dans le cœur de la victime, » le jury n’est pas supposé comprendre que ça signifie en fait « Je l’ai vu écrire une violente critique du dernier ouvrage de la victime. » Le jury est là pour décider si oui ou non la déclaration est vraie, et pas pour juger le type de déclaration. Elle est d'emblée supposée littérale.

Maintenant nous ne pouvons pas savoir si les premières personnes qui ont écouté la légende de Bumba pensaient qu’elle était authentique. Sans doute que oui. Mais je pense que si les gens ont évolué au point de pouvoir raconter des histoires pour tous, ils ont aussi mis en place un monde intellectuel suffisamment sophistiqué, dans lequel ils font la différence entre ce qui est littéral et le langage imagé. Après tout, chacun des bushongo a dû à un moment ou un autre avoir mangé un morceau de gnou pourri ou quelque chose qu’il ne supportait pas, et le résultat ne ressemblait en rien à quelque chose comme le soleil, la lune, les étoiles, les animaux,… etc. Donc ils étaient capables d’imaginer que les conséquences des maux d’estomac de Bumba ressemblaient aux leurs à certains égards et étaient différentes à d’autres: ils étaient capables d’employer l’analogie ou la métaphore.

Aussi longtemps que la capacité intellectuelle persistera, les êtres humains seront capables de penser leur monde et de le décrire de plus d’une différente manière, et c’est un véritable don. Au point culminant de ce que nous pouvons appeler la tendance Bumba, nous retrouvons le superbe récit de la création du Paradis Perdu de Milton. Ce dernier a représenté l’ange Raphaël s’adressant à Adam et Eve pour leur raconter ce qui était arrivé avant leur création, en employant des mots qui célèbrent la beauté physique et sensuelle du monde d’une façon si réelle qu’il est impossible refuser une pointe d’empathie imaginative à cet homme – pour le moins athée. Je sais qu’il ne faut pas le prendre à la lettre, et pourtant je peux en profiter pleinement. La plupart d’entre-nous sont capables de cette double vision mentale, et cette capacité n’a surement pas été inventée la semaine dernière. Je pense qu’elle est aussi ancienne que le langage et que l’humanité-même.

Le problème survient quand les fondamentalistes prétendent qu’il n’y a aucune forme d’analogie ou de métaphore, ou bien lorsqu’ils sont cruels ou Sataniques, et qu’il ne doit il y avoir qu’un unique sens unique aux histoires. La Bible est littéralement vraie. Le monde a été créé en six jours. Le Conseil de l’Éducation du Kansas parle ainsi. Les adorateurs de Bumba, pour autant que nous le sachions, n’avaient pas développé cette perversion moderne, cette amputation moderne du sens de la narration ; il n’y a que les adorateurs de Yahvé et d’Allah qui sont stupides à ce point.

Mon régal avec le récit que le professeur Hawking nous a offert ce soir, et qu’il nous avait déjà donné dans son magnifique ouvrage Une Brève Histoire du Temps, c’est que nous pouvions nous émerveiller en l’écoutant tout en le prenant au pied de la lettre. C’est un conte d’une entreprise héroïque, d’une audace intellectuelle et d’une imagination éclatante sans égal, et ces personnes comme moi dont le travail consiste à composer une variante à la légende de Bumba, et qui essayent d’être aussi proches de la fin de Milton autant que notre talent ne nous le permettra, ne peuvent qu’ôter leurs chapeaux et saluer le récit de ceux comme le professeur Hawking - ceux qui ne racontent pas qu’une histoire, mais qui prennent part eux-mêmes aux évènements: ceux qui découvrent un coin du mystère, ceux qui introduisent la lumière dans les ténèbres et qui apportent quelque chose que personne n’avait jamais vue auparavant.

Le genre d’histoires que ces grands héros (et j’emploie mes mots précautionneusement et à bon escient) – donc le genre d'histoire que ces grands héros de la science moderne racontent doit avoir une chose en commun, et je parle d’un sens technique et structurel, avec les histoires comme la légende de Bumba. Et c’est dans la façon dont ils concluent. La plupart des histoires que nous lisons sous forme de romans, ou de contes de fées, ou que nous voyons dans les films et au théâtre, sont modelées dans le but d’une conclusion bien précise. Les évènements sont arrangés pour aboutir à « Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » Ou bien «J’ai enfin épousé M. Rochester. » Ou encore la dernière phrase de La Ferme des animaux de George Orwell: « Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l'homme et de l'homme au cochon, et de nouveau du cochon à l'homme ; mais déjà il était impossible de distinguer l'un de l'autre.» Les histoires de ce type nous font voyager entre l’harmonie et les tensions, entre l’issue et la discorde pour finalement aboutir à une résolution. L’histoire prend fin; toutes les cordes sont reliées ; il n’y a plus rien à ajouter.

Mais les histoires racontées par la science et la religion sur nos origines diffèrent de ça. Il n’y a pas ce sens du rythme et de la chute comme à la fin d’une pièce ou d’un roman, ou encore la clôture esthétique et morale que nous éprouvons à la fin de l’un de ces contes de fées classiques. Les récits fondateurs n’ont pas une telle fin déterminée. Le récit fondateur religieux type nous dit par exemple que nous avons été conçus par un créateur du ciel, ou bien dans le cas de Bumba par un grand vomisseur, et il nous place généralement dans une sorte de relation avec notre créateur. Nous sommes ses enfants. Nous lui redevons gratitude, adoration et obéissance. L’autre type de récit fondateur, le scientifique, nous parle du développement de la matière depuis les premiers instants de l’univers, de la formation des atomes, de la façon dont les atomes se lient à d’autres atomes afin de créer des structures plus complexes qui finissent par donner naissance à la vie, et de la manière dont la vie évolue grâce à la sélection naturelle. Nous sommes les enfants du dieu du ciel, ou bien nous sommes constitués de matière stellaire.

Quoi qu’il en soit, les histoires de ce genre nous expliquent comment nous avons atterri ici : elles disent en effet « L’histoire continue, et la suite vous appartient.» Et peu importe que nous le sachions ou que nous l’apprécions, ça nous place dans une relation morale avec la chose dont nous sommes issus, qu’il s’agisse d’un dieu ou de la nature. Les légendes divines le font de manière explicite : faites ceci, croyez cela. Les histoires scientifiques ont aussi des conséquences morales, mais elles les transmettent de façon plus subtile, par implications; on pourrait dire plus démocratiquement. Elles dépendent de notre contribution, de notre volonté de comprendre et d’agréer.

En conséquence, les histoires vraies méritent d’être racontées, et méritent d’exister, et nous devons nous comporter honnêtement envers elles et nous référer aux processus scientifiques en premier lieu. Ce n’est qu’à travers l’honnêteté et le courage que la science peut pleinement s’épanouir. Le modèle ptolémaïque du système solaire a été ébranlé et remplacé par la pression constante issue d’un flot de témoignages sincères: «Oui, nous savons que les planètes sont censées tourner autour de la Terre en cercles parfaits, mais sincèrement, si vous observez, ce n’est pas ce que vous voyez. Vous voyez ceci à la place. Maintenant pourquoi vous pensez l’inverse? Que se passe-t-il réellement là-haut ? »

Nous avons donc d’un côté le courage de ceux tels que Galilée et des autres victimes des persécutions et d’un autre, les lâches à l’esprit d’ouverture aveuglé. J’ai été très heureux d’entendre que le professeur Hawking avait échappé aux griffes de l’Inquisition lors de sa visite au Vatican ; il y a quatre siècles, il n’aurait pas eu cette chance, et aux échelles de temps de ce soir, quatre cent ans ne représentent qu’une parcelle d’instant. Nous oublions parfois combien nous avons de la chance de vivre dans cette petite bulle de temps, encore chaude, pourrait-on dire, grâce au rayonnement provenant du siècle des Lumières. Nous sommes privilégiés aujourd’hui de pouvoir entendre les mots du professeur Hawking sans avoir à nous réunir en secret, sans employer un mot de passe et des déguisements, sans redouter une trahison, une arrestation et la torture ; et ce n’est pas seulement grâce à l’intelligence des grands héros de la science, d’hier ou d’aujourd’hui, mais aussi grâce à leur valeur.

Le professeur Hawking a terminé sa conférence par une étude de l’état actuel de la cosmologie, et la prédiction que nous nous apprêtons à répondre aux questions séculaires «Pourquoi sommes-nous là ? D’où venons-nous ? » Certains sont plutôt effrayés à l’idée qu’il pourrait il y avoir une réponse finale à ces questions; ils pensent que ça désenchantera la magie de l’univers. Je pense qu’ils ont complètement tort. Plus nous découvrirons, plus l’univers nous sera merveilleux, et si nous sommes ici pour l’observer et nous émerveiller devant lui, alors nous sommes une part importante de ce qu’il est. Et il n’y aura pas de pénurie de questions importantes. Une fois que nous saurons d’où nous venons, nous pourrons nous tourner vers d’autres questions comme « Où allons-nous ? Que devons-nous faire ? »

L’histoire continue et la suite nous appartient. Je suis extrêmement reconnaissant envers la science, et envers Stephen Hawking en particulier, pour avoir illuminé nos pas dans le présent avec tant de clarté, tant d’audace intellectuelle et tant d’esprit.


Détails
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Vendredi 23 Avril 2010 - 19:07:15
Soldat Bleu
Source : philip-pullman.com
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